— Ça ira parfaitement, répondit Mikael, loin d'être persuadé que la situation dans laquelle il s'était fourré était raisonnable.
— Tant mieux. Nous avons encore une heure de jour. On peut faire un tour pour que tu voies le hameau. Je te propose de mettre des bottes et de grosses chaussettes. Il y en a dans l'armoire du vestibule.
Mikael obtempéra mais décida d'aller dès le lendemain courir les magasins pour s'acheter des caleçons longs et de grosses chaussures d'hiver.
LE VIEIL HOMME commença la visite en expliquant que le voisin de Mikael de l'autre côté de la route était Gunnar Nilsson, l'employé de Henrik Vanger qu'il insistait pour appeler son « homme à tout faire », mais Mikael comprit vite que celui-ci entretenait l'ensemble des bâtiments sur l'île, et qu'il administrait aussi plusieurs immeubles à Hedestad.
— Son père donc était Magnus Nilsson, qui travaillait de la même manière chez moi dans les années 1960, un de ceux qui apportèrent leur aide lors de l'accident sur le pont. Magnus vit toujours, mais il est à la retraite et il habite à Hedestad. Gunnar habite cette maison avec sa femme ; elle s'appelle Helen. Leurs enfants sont partis vivre leur vie.
Henrik Vanger fit une pause et réfléchit un instant avant de reprendre la parole.
— Mikael, l'explication officielle de ta présence ici est que tu vas m'aider à rédiger mon autobiographie. Cela te permettra d'aller fouiller dans tous les coins sombres et de poser des questions aux gens. Ta véritable mission est une affaire entre toi et moi et Dirch Frode. Nous trois sommes les seuls à la connaître.
— Je comprends. Et je répète ce que j'ai déjà dit : c'est du gaspillage de temps. Je ne vais pas pouvoir résoudre l'énigme.
— Tout ce que je demande, c'est que tu essaies. Nous devons cependant faire attention à ce que nous disons quand il y a des gens dans les parages.
— D'accord.
— Gunnar a cinquante-six ans maintenant, il en avait donc dix-neuf quand Harriet a disparu. Il y a une question à laquelle je n'ai jamais eu de réponse — Harriet et Gunnar étaient bons amis et je crois qu'une sorte de flirt d'adolescents s'était établi entre eux, en tout cas elle l'intéressait beaucoup. Le jour de sa disparition, il était cependant à Hedestad, il est de ceux qui restèrent coincés sur la terre ferme quand le pont a été bloqué. Compte tenu de leur relation, il a évidemment été considéré avec soin. Il a mal vécu cela, mais la police a contrôlé son alibi et il est solide. Il a passé toute la journée avec des copains et il n'est revenu ici que tard dans la soirée.
— J'imagine que tu as une liste complète de qui se trouvait sur l'île et qui faisait quoi pendant la journée.
— C'est exact. On continue ?
Ils s'arrêtèrent dans la montée à la croisée des chemins devant la maison Vanger, et Henrik Vanger indiqua le port de plaisance.
— Toute l'île de Hedeby appartient à la famille Vanger, ou plus exactement à moi. Exception faite de la ferme d'Östergården et de quelques maisons particulières ici au hameau. Les cabanons en bas dans ce qui autrefois était le port de pêche sont des propriétés privées, mais ils servent de maisons de campagne et ils restent d'une manière générale inhabités en hiver. La seule exception est la maison tout au bout — tu vois que la cheminée fume.
Mikael hocha la tête. Il était déjà gelé jusqu'aux os.
— La bicoque misérable est pleine de courants d'air, mais elle sert d'habitation tout au long de l'année. C'est Eugen Norman qui habite là. Il a soixante-dix-sept ans, c'est une sorte d'artiste peintre. Moi, j'appelle ça un peintre du dimanche, mais il est assez connu pour ses paysages. Il fait un peu fonction de l'obligatoire original du village.
Henrik Vanger guida les pas de Mikael le long de la route vers le promontoire en indiquant chacune des maisons qu'ils dépassaient. Le hameau comportait six maisons côté ouest de la route et quatre maisons côté est. La première, tout près de la maison des invités où allait loger Mikael et face à la maison Vanger, appartenait au frère de Henrik Vanger, Harald. C'était une bâtisse carrée en pierre, à un étage, à première vue abandonnée ; les rideaux étaient tirés aux fenêtres et le chemin qui montait vers la maison n'avait pas été déblayé, il y avait bien cinquante centimètres de neige. A regarder de plus près, des traces de pas révélaient que quelqu'un avait pataugé dans la neige entre la route et la porte.
— Harald est un solitaire. On ne s'est jamais bien entendus, lui et moi. A part des querelles concernant les entreprises — il est actionnaire —, nous nous sommes à peine parlé depuis soixante ans. Il est plus âgé que moi, quatre-vingt-douze ans, et c'est le seul de mes cinq frères qui soit encore en vie. Je te raconterai les détails plus tard, mais il a fait des études de médecine, il a surtout travaillé à Uppsala. Il est revenu ici sur Hedebyön quand il a eu soixante-dix ans.
— J'ai compris que vous ne vous appréciez pas. Pourtant vous êtes voisins.
— Je le trouve détestable et j'aurais préféré qu'il reste à Uppsala, mais la maison lui appartient. Je parle comme un vrai salaud, non ?
— Tu parles comme quelqu'un qui n'aime pas son frère.
— J'ai passé les premières vingt-cinq, trente années de ma vie à excuser des gens comme Harald seulement parce que nous étions de la même famille. Ensuite j'ai découvert que la parenté n'est pas une garantie d'amour et que j'avais très peu de raisons de prendre la défense de Harald.
La maison suivante appartenait à Isabella, la mère de Harriet Vanger.
— Elle aura soixante-quinze ans cette année, elle a toujours de l'allure et prend de grands airs. Elle est aussi la seule dans le hameau qui parle avec Harald et lui rende visite de temps à autre, mais ils n'ont pas grand-chose en commun.
— Quels étaient les rapports entre elle et Harriet ?
— Bonne question. Les femmes aussi doivent entrer dans le cercle des suspects. Je t'ai dit que souvent elle laissait les enfants se débrouiller tout seuls. Je ne sais pas trop, je crois qu'elle aurait bien voulu mais qu'elle était incapable de prendre ses responsabilités. Harriet et elle n'étaient pas proches l'une de l'autre, mais elles n'étaient jamais fâchées. Isabella peut se montrer coriace, parfois elle est un peu décalée aussi. Tu comprendras ce que je veux dire quand tu la verras.
La voisine d'Isabella était une Cécilia Vanger, fille de Harald Vanger.
— Auparavant elle était mariée et habitait à Hedestad, mais elle s'est séparée de son mari il y a un peu plus de vingt ans. La maison m'appartient et je lui ai proposé de venir s'installer ici. Cécilia est professeur et elle est tout le contraire de son père en plus d'un aspect. Je peux ajouter qu'elle et son père eux aussi ne se parlent pas plus que nécessaire.

— Quel âge a-t-elle ?
— Elle est née en 1946. Elle avait donc vingt ans quand Harriet a disparu. Et, oui, elle était l'une des invitées sur l'île ce jour-là.
Il réfléchit un moment.
— Cecilia peut sembler fofolle, mais en réalité elle est plus futée que beaucoup d'autres. Ne la sous-estime pas. Si quelqu'un découvre ce que tu fabriques réellement ici, ce sera elle. Je dirais qu'elle est l'un des membres de ma famille que j'apprécie le plus.
— Est-ce que cela signifie que tu ne la soupçonnes pas ?
— Je n'irai pas jusque-là. Je voudrais que tu considères l'affaire sans la moindre restriction, indépendamment de ce que je pense ou crois.
La maison qui jouxtait celle de Cecilia appartenait à Henrik Vanger mais elle était louée à un couple âgé qui avait travaillé dans la direction du groupe Vanger. Venus habiter sur l'île dans les années 1980, ils n'avaient donc rien à voir avec la disparition de Harriet. La maison suivante appartenait à Birger Vanger, le frère de Cecilia Vanger. Elle était vide depuis plusieurs années, depuis que Birger Vanger s'était installé dans une villa moderne à Hedestad même.
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