Arthur Doyle - La Vallée De La Peur

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McMurdo tira de sa poche une liasse de dollars.

– … Il m'en remettra autant quand il aura vu mes documents.

– Quels documents?

– Je n'ai pas de documents, bien sûr! Mais je lui ai mis l'eau à la bouche à propos de constitutions, de livres de règlements, de bulletins d'adhésion. Il est persuadé qu'avant de partir d'ici, il aura touché le fond de l'affaire.

– Là, il n'a pas tort! murmura McGinty d'une voix menaçante. Ne vous a-t-il pas demandé pourquoi vous ne lui aviez pas apporté les documents?

– Comme si j'allais transporter un bagage pareil, moi si suspect, à qui le capitaine Marvin a voulu parler ce matin encore à la gare!

– Oui, on me l'a raconté, dit McGinty. J'ai peur que ce ne soit vous qui ayez en fin de compte à supporter tout le poids de l'affaire. Quand nous lui aurons réglé son compte, nous pourrons le faire disparaître dans un vieux puits, mais nous ne pourrons pas supprimer le double fait que cet homme habitait Hobson's Patch et que vous y êtes allé aujourd'hui.

McMurdo haussa les épaules.

– Si nous opérons adroitement, le meurtre ne sera jamais prouvé, dit-il. Personne ne pourra le voir se rendre chez moi une fois la nuit tombée, et je gage que personne ne le verra sortir. Maintenant, conseiller, écoutez-moi. Je vais vous révéler mon plan, et vous mettrez les autres dans le secret. Vous serez tous là à l’heure dite. Très bien. Il arrivera à dix heures. Il doit taper trois fois; c'est moi qui lui ouvrirai la porte. Je passe derrière lui et je la referme. Nous tenons notre homme.

– Oui, c'est simple comme bonjour.

– Mais la suite mérite réflexion. Voilà un homme qui appartient à une organisation sérieuse. Il sera armé. Je crois l'avoir bien entortillé; n'empêche qu'il se tiendra sans doute sur ses gardes. Supposez que je l'introduise tout droit dans une pièce où sept hommes l'attendent, alors qu'il me croit seul. Il y aura un échange de balles, avec des risques pour quelques-uns.

– Exact.

– Et le bruit peut attirer tous les flics de la ville.

– Il me semble que vous avez raison.

– Voici donc comment je vois les choses. Vous serez tous dans la grande pièce, celle où nous avons eu ensemble un petit entretien. Je lui ouvrirai la porte d'entrée, je l'introduirai dans le salon à côté de la porte, et je le laisserai là pendant que j'irai chercher mes documents. Je reviendrai le trouver avec quelques faux papiers. Pendant qu'il les lira, je lui sauterai dessus et je l'immobiliserai. Vous m'entendrez appeler, et vous accourrez. Le plus vite possible, s'il vous plaît, car il est aussi fort que moi, et je peux écoper plus que je ne le souhaite! Mais je garantis que je pourrai tenir jusqu'à votre arrivée.

– C'est un bon plan, dit McGinty. La loge sera votre débitrice. J'ai l'impression que lorsque je quitterai mon fauteuil présidentiel, mon successeur sera tout désigné.

– Évidemment, conseiller, je ne suis plus tout à fait un bleu! répondit McMurdo, dont le visage montrait ce qu'il pensait du compliment décerné par le grand homme.

Quand il rentra chez lui, il fit ses préparatifs pour la sinistre soirée en perspective. En premier lieu, il nettoya, graissa et chargea son Smith and Wesson. Puis il inspecta la pièce où le piège devait être tendu au détective: elle était vaste, avec une longue table au milieu et un gros poêle dans le fond. Des deux côtés, il y avait des fenêtres sans volets, pourvues seulement de légers rideaux. McMurdo les examina avec attention. Sans doute trouva-t-il que cette pièce était bien exposée pour une affaire si secrète. Mais la distance à laquelle se trouvait la route réduisait les risques. Finalement il mit au courant Scanlan, qui logeait avec lui. Scanlan, bien qu'Éclaireur, était un petit bonhomme inoffensif, trop lâche pour se dresser contre l'avis de ses camarades, mais qui était horrifié par les actes sanguinaires dont il avait été parfois le témoin. McMurdo lui exposa en peu de mots ce qui était prévu.

– Et si j'étais à votre place, Mike Scanlan, ajouta-t-il, j'irais coucher ailleurs cette nuit. Il y aura du sang dans la pension avant demain matin.

– Le fait est, Mac, répondit Scanlan, que ce n'est pas la volonté qui me manque; mais les nerfs. Quand j'ai vu le directeur Dunn abattu l'autre jour, devant le puits de mine, ç'a été plus que je ne peux supporter. Je ne suis pas fait pour ce genre de travail, moi, comme vous ou McGinty. Si la loge ne me juge pas mal, je suivrai votre conseil, et je vous laisserai ce soir entre vous.

Les assassins arrivèrent en temps voulu. Extérieurement, ils avaient l'air de citoyens respectables, bien vêtus et propres; mais un connaisseur en physionomies aurait laissé peu de chances à Birdy Edwards devant ces bouches crispées et ces yeux impitoyables. Dans cette pièce, il n'y avait pas un homme dont les mains n'eussent trempé une douzaine de fois dans le sang. Ils étaient aussi endurcis au meurtre qu'un boucher devant un mouton. En tête, naturellement, venait le formidable McGinty. Harraway, le secrétaire, était un homme maigre aux membres nerveux et au long cou flasque: incorruptible lorsqu'il s'agissait des finances de l'ordre, il n'avait plus aucune notion de justice ni d'honnêteté quand un autre était en cause. Le trésorier Carter avait un certain âge; il avait l'air morose et il était jaune comme un parchemin; il s'était révélé un organisateur capable: presque tous les attentats avaient été fignolés par son cerveau précis. Les deux Willaby étaient des hommes d'action, jeunes, grands, souples. Leur compagnon Tiger Cormac était redouté pour la férocité de son tempérament, même par ses camarades.

Leur hôte avait placé du whisky sur la table, et ils s'étaient empressés de se réchauffer en vue du travail qui les attendait. Baldwin et Cormac étaient arrivés déjà à moitié ivres; l'alcool alluma leur cruauté naturelle. Cormac posa un instant ses mains sur le poêle qui avait été allumé.

– Comme température, ça ira! fit-il.

– Oui, approuva Baldwin qui avait compris le sens de sa réflexion. S'il est ligoté à ce poêle, il nous crachera toute la vérité.

– Ne craignez rien: nous lui tirerons les vers du nez! dit McMurdo.

Il avait des nerfs d'acier, cet homme! Bien que toute l'affaire reposât sur lui, il était aussi froid, aussi calme que d'habitude. Les autres le remarquèrent.

– Vous vous débrouillerez seul avec lui, dit le chef de corps. Il ignorera notre présence tant que votre main ne l'aura pas saisi à la gorge. C'est dommage que ces fenêtres n'aient pas de volets!

McMurdo alla de l'une à l'autre et tira sur les rideaux pour les serrer davantage.

– Comme cela, personne ne pourra nous espionner. L'heure approche.

– Peut-être ne viendra-t-il pas. Peut-être aura-t-il flairé le danger, dit le secrétaire.

– Il viendra, je vous en réponds! déclara McMurdo. Il a autant envie de venir ici que vous avez envie de le voir. Écoutez!

Ils se figèrent comme des personnages de cire, quelques-uns avec le verre arrêté à mi-hauteur des lèvres. Trois grands coups avaient retenti à la porte.

– Silence!

McMurdo leva une main pour recommander la prudence. Un même regard de triomphe brilla dans les yeux des sept hommes; ils posèrent leurs mains sur leurs armes.

– Pas un bruit maintenant! chuchota McMurdo, qui sortit et ferma soigneusement la porte derrière lui.

L'oreille tendue, les assassins attendirent. Ils écoutèrent le pas de leur camarade dans le couloir. Puis ils l'entendirent ouvrir la porte extérieure. Il y eut quelques mots échangés: des mots d'accueil. Puis ils perçurent un pas hésitant à l'intérieur de la maison et une voix qu'ils ne connaissaient pas. Un instant plus tard, la porte claqua et une clé tourna dans la serrure. Leur proie était prise au piège. Tiger Cormac éclata d'un rire abominable; McGinty lui ferma la bouche d'un revers de sa grosse patte.

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