– Mais qu’est-il arrivé? demanda-t-il, haletant.
Elle lui raconta tout et s’écria, dans un dernier sanglot: «Aimez-la toujours, comme toujours je prierai pour elle…»
Et elle retomba, épuisée.
Jacques avait laissé échapper un cri sourd… mais il s’arrêta dans son immense regret superflu… Regretter que l’autre fût morte, n’était-ce point regretter que celle-ci fût vivante!
Il vit la faible enfant qui avait tant souffert et qui si héroïquement venait lui dire: Aimez-la! Pleurez-la toujours! Il se baissa sur elle, la prit dans ses bras, et lui dit:
– Lydie, vous êtes digne d’elle! C’est moi qui suis indigne de votre amour à toutes deux! Nous la pleurerons ensemble, Lydie, voulez-vous! Emportez ces reliques. Elles sont à vous! Nous ne nous en séparerons jamais!
La jeune fille reprit des mains de Jacques ce gage d’un amour auquel elle ne voulait plus croire… Et comme elle se soulevait, éperdue, étourdie, ne sachant plus où diriger ses pas, le Subdamoun dit à la marquise qui était entrée silencieusement et qui avait assisté à la fin de la scène…
– Il y a dans ce coffret une chose qui vous sera à jamais sacrée à vous, ma mère, comme à nous tous, parce que c’est la chevelure d’une femme qui a donné sa vie pour sauver la vie de ma femme!
Et il conduisit Lydie à sa mère.
Cette scène de famille des plus attendrissantes, se fût peut-être prolongée, si un domestique n’était entré, annonçant que les deux personnes étaient là, dans le petit salon!
XXXVII DEUX PERSONNES ATTENDENT DANS LE PETIT SALON
– C’est bien! fit le Subdamoun, d’une voix instantanément changée. Faites attendre!
Et il pria les deux femmes de le laisser seul…
La douce émotion de tout à l’heure avait disparu, faisant place à une agitation qu’il essayait vainement de dissimuler.
Comme les deux femmes restaient stupéfaites de cette transformation, il leur fit un signe bref d’avoir à disparaître et il s’assit à son bureau.
Il essayait de «se reconquérir».
L’ennemi était dans la place, car, évidemment, c’était un ennemi qui lui apportait une révélation pareille, un ennemi à mort!
Il ne voulait point, avant la partie qui allait se jouer, laisser voir son atroce inquiétude. Il devait dès l’abord traiter l’ennemi en imposteur! car l’imposture constituait son seul et dernier espoir!
Oui, il voulait croire qu’on allait mentir! Et il devait montrer, en face d’une pareille machination, un front calme!
Malheureusement, les réflexions qu’il avait faites sur certains événements de ces derniers temps lui rendaient très difficile le calme nécessaire.
Il eût préféré se trouver dans la brousse, en plein piège sauvage que dans ce vieil hôtel si calme, où les deux personnes l’attendaient dans le petit salon !
Il avait choisi ce petit salon parce qu’il était fort retiré, à l’extrémité d’un corridor, qui servait souvent, dans la journée, de chambre de repos à sa mère et où l’on pouvait causer en toute tranquillité, sans crainte d’éveiller une oreille indiscrète.
Le Subdamoun ouvrit un tiroir et sortit un revolver qu’il arma.
Il mit le revolver dans sa poche, et puis il arpenta la pièce de long en large. Il s’efforçait d’arrêter un plan. Il n’y parvenait pas.
Soudain, la porte s’ouvrit. Il se trouva en face de sa mère qui paraissait aussi agitée que lui.
– Jacques! fit-elle, qu’y a-t-il? En passant devant le petit salon, dont la porte était restée entrouverte, j’ai entendu une voix qui disait: «Va-t-il nous faire attendre encore longtemps?» Et j’ai reconnu cette voix: c’était celle de la baronne d’Askof!
Le Subdamoun, sur ses gardes, parvint à cacher un peu l’émotion que lui causait le prononcé de ce nom.
La baronne d’Askof! C’était là l’ennemie!
Il songea à tout ce que le baron avait pu faire ou faire faire au nom du Subdamoun quand ils avaient encore partie liée et, intérieurement, il en frémit. Au fond de quel abîme roulait-il donc?
La marquise insistait:
– Jacques! pourquoi n’as-tu plus confiance en moi? Je suis sûre qu’un grand danger te menace!
– Vous vous trompez, ma mère, répondit-il. J’ai rendez-vous avec la baronne d’Askof parce que nous devons finir de régler certaines affaires concernant le passé; mais je ne cours aucun danger.
Elle ne bougeait pas. Il en marqua de l’impatience:
– Vous devriez aller vous reposer. Je vous avais, du reste, demandé de me laisser recevoir ces gens… sans vous en préoccuper!
Il ne lui avait jamais parlé ainsi. Elle en fut plus épouvantée encore:
– Tu ne te vois pas, malheureux enfant! Depuis quelques jours, on ne te reconnaît plus! Toi, ordinairement si maître de tes sentiments, tu n’arrives pas à nous cacher ton inquiétude. Pourquoi ne te confies-tu pas à moi? Ces Askof, je les ai toujours considérés comme des bandits…
– Le fait est, accorda le Subdamoun, que je les crois capables de tout!
– Ah! tu vois! Eh bien, ne reçois pas ces gens-là! Il ne faut plus qu’ils viennent chez toi! Il faut rompre avec eux!
– C’est justement pour rompre qu’il faut que je les reçoive… Et puis, tu oublies que cette entrevue avec la baronne peut ne pas être inutile à la réalisation des projets de Frédéric et de Marie-Thérèse.
– Tais-toi! Tu oses me donner un pareil prétexte! Marie-Thérèse attendra sa majorité s’il le faut! Et s’il ne s’agit que de cela, j’irai recevoir la baronne moi-même… Ta figure me fait peur et j’ai peur pour toi…
Il ferma les poings. Et puis tout à coup, devant le visage douloureux de sa mère, il céda:
– Écoute, mère, puisqu’il en est ainsi et qu’il faut en finir, je vais tout te dire en deux mots: Ces gens-là viennent, paraît-il, m’apporter la preuve que je n’ai été dans toute l’affaire du coup d’État que l’instrument d’un bandit! Oui, d’un brigand de droit commun, d’un assassin! Et ils viennent me dire le nom de cet assassin! Tu vois bien qu’il faut que je les reçoive…
Cécily ne répondit pas. Elle n’en avait pas la force. Toutes ses terreurs, toutes ses appréhensions, tout ce qu’elle avait redouté depuis qu’elle avait remarqué comment le crime profitait à son fils, l’image terrible et confuse de l’homme qui l’avait sauvée elle-même, le souvenir hallucinant d’une captivité dans un souterrain où se traînait à ses genoux un esclave immonde, et surtout le nom du personnage qui s’était révélé par l’image dans la petite chapelle aux reliques, le nom fatal, le nom que les petits enfants de France avaient appris à redouter comme celui de l’ogre ou du loup-garou… tout cela surgit, réapparut, l’entoura d’une ronde diabolique, anéantit son esprit, brûla ses yeux, assourdit ses oreilles… ses oreilles qui tintaient du nom aux syllabes si tragiquement sonnantes… «Chéri-Bibi! Chéri-Bibi!» Elle étendit les bras et cria:
– N’y va pas! N’y va pas!
Elle s’était agrippée à lui; il la secouait comme une entrave quelconque, oubliant qu’elle était sa mère… et elle râlait sans lâcher prise.
– N’y va pas! N’y va pas!
Affolé à l’idée que sa mère voulait l’empêcher de savoir, il se précipita, la traînant derrière elle… Et ils arrivèrent ainsi à la porte du petit salon qui avait été refermée.
Là, il s’arrêta.
Il écouta.
Elle aussi, dominant subitement son commencement de folie, s’était dressée et écoutait.
Ils n’entendaient rien, rien que le battement affreux de leurs cœurs.
Читать дальше