Bryce la fixa, ébahi. Lex n’était pas surprise. De toute sa carrière chez Enlivrez-vous , elle n’avait rien fait d’aussi courageux.
– Je vais vous écrire une lettre de recommandation, dit-il enfin.
– C’est gentil, répondit Lex avec un sourire poli. Je ne pense pas que je retrouverai un travail comme celui-là. Personne ne voudra d’une éditrice de documentaires aux ventes désastreuses et aux titres obscurs. Vous avez raison, le marché a changé. Il est peut-être temps que je change aussi. Je vais rester fidèle à moi-même et voir où ça me mène.
– Je vous serrerais bien la main, dit Bryce avec un sourire larmoyant, mais je voudrais éviter de passer les deux prochaines heures à essuyer de l’encre.
Lex réprima un rire, levant sa propre main en l’air pour dévoiler la tache qu’il avait déjà remarquée.
– C’était une bonne expérience, dit-elle.
– Effectivement. Bryce s’enfonça dans sa chaise l’air abattu. Je vous souhaite bonne continuation, peu importe ce que vous choisirez de faire.
Tant bien que mal, avec des mouvements machinaux, Lex réussit à se lever, à ranger la chaise sous le bureau puis à se tourner vers la porte. Les choses lui paraissent irréelles en cet instant.
– Votre départ prend effet immédiatement, l’interpella rapidement Bryce avant qu’elle ne sorte. C’est la politique de la compagnie dans ce genre de situation. Karen s’occupera d’achever vos manuscrits en cours et nous ferons tout ce qui est possible pour eux. Vous avez droit à un préavis de quatre semaines pendant lequel vous recevrez votre salaire, mais vous ne pourrez pas revenir. À cause de la sécurité des données, des plannings et tout ça. Ils ne veulent pas prendre de risque.
Lex le fixa de nouveau un moment, sa main hésita au-dessus de la poignée de la porte. Ce n’était pas dit méchamment, il avait même l’air désolé de son annonce. Une vague d’indignation la submergea, elle n’aurait pas le temps de dire au revoir. Sauf qu’en y repensant, il n’y avait pas beaucoup de personnes ici qu’elle considérait comme ses amis. Bryce avait toujours été gentil avec elle et compréhensif. Mais c’était terminé.
Elle se détourna et se dirigea vers son bureau comme abasourdie. Lex se dit vaguement qu’elle allait devoir trouver une boîte quelque part pour ranger ses affaires. Puis elle se demanda ce qui allait se passer maintenant.
Lex s’appuya contre l’encadrement de la porte. Elle se sentait fatiguée et vidée par les évènements de la journée, traverser la moitié de Boston pour rentrer n’avait rien arrangé. Elle faillit tomber à l’intérieur de l’appartement lorsque la porte s’ouvrit sur Colin, son petit ami depuis six mois. Il arborait un grand sourire sur son visage couvert de taches de rousseur, heureux de la voir, mais son expression changea dès qu’il croisa son regard.
– Lexie ? demanda-t-il. Qu’y a-t-il ?
Elle soupira et baissa la tête en direction du tapis avant de répondre.
– J’ai perdu mon boulot. Je peux entrer ?
Colin s’écarta immédiatement pour la laisser passer, fermant la porte derrière elle avant de se rapprocher pour lui faire un câlin. Elle posa sa tête sur son épaule. L’odeur de patchouli de ses vêtements, qui la faisait toujours éternuer, lui emplit les narines. Elle tourna la tête pour essayer de respirer de l’air pur. Colin s’éloigna, pensant que son attitude signifiait la fin de l’embrassade.
– Je croyais que tu étais en lice pour recevoir un prix, dit-il en la conduisant jusqu’au canapé.
Il était jonché de numéros de magazines auquel il s’était abonné sur des affaires non élucidées et des théories du complot. Elle en poussa quelques-uns pour se faire une place.
– Le livre oui, moi non, le corrigea Lex. Il l’est toujours d’ailleurs. Apparemment, moi, je ne leur rapportais pas assez d’argent.
– Oh, bébé, dit Colin.
Il plissa le nez et secoua la tête tout en s’asseyant à côté d’elle, quelques mèches de ses cheveux bruns tombèrent devant ses yeux.
– Je suis désolé. Tu veux qu’on se fasse une soirée pizza avec des bières et qu’on regarde un film ? Tu pourras même pleurer sur mon épaule.
Cela eut au moins le mérite de rendre le sourire à Lex. Il la connaissait maintenant assez bien pour savoir qu’un film et un bon repas étaient les remèdes les plus efficaces en cas de coups de blues.
– Bonne idée, acquiesça-t-elle en voulant terminer cette journée sur une note positive.
Colin lui fit un grand sourire, puis il se pencha et lui embrassa la tempe.
– Je vais chercher le menu.
Tandis qu’il fouillait dans les tiroirs de la cuisine, Lex attrapa un des magazines ouverts sur la table et soupira. Il y avait un article sur les dernières émissions historiques disponibles en VOD et Colin avait entouré l’une d’elles au feutre rouge, La mort d’Hitler : Mythe ou Réalité ? Lex repoussa le magazine avec dégoût, elle avait eu son quota d’imbécilités pour la journée.
Elle préféra prendre la télécommande et commencer à chercher une adaptation cinématographique de roman à regarder. Il y avait plein de titres intéressants, mais elle choisit de se les garder pour un autre moment, quand elle pourrait pleinement en profiter. Finalement, elle se décida pour un livre Jeune Adulte, adapté en film l’année dernière. Heureusement, ce n’était pas l’une des prouesses de Matt.
– Tu veux la même chose que d’habitude Lexie ? demanda Colin depuis le couloir, le combiné collé à l’oreille. Et je prends aussi de la glace pour le dessert.
– Oui, comme d’habitude, répondit Lex.
Elle n’aimait pas changer. Une bonne vieille routine n’avait jamais tué personne et elle cherchait du réconfort.
– Tu as vu La joueuse rebelle ?
– Oui, mais ça ne me dérange pas de le revoir, dit Colin.
Puis il lui signala de la main qu’on répondait à son appel.
– Bonjour ? Oui, je voudrais commander des pizzas en livraison…
Lex laissa son esprit s’égarer pendant qu’il commandait. Ses yeux balayèrent la pièce et se posèrent sur une figurine de chouette qui se trouvait dans la bibliothèque de Colin depuis qu’elle le connaissait. Elle portait maintenant un chapeau en aluminium, minuscule mais ajusté. Lex réprima un rire. Même s’il se laissait emporter par des théories farfelues, Colin avait un sacré sens de l’humour. Il avait dû le rajouter après leur dernière dispute, lorsqu’elle l’avait accusé d’être sur le point de porter un chapeau en aluminium. Une dispute qui s’était transformée en fou rire lorsque Colin l’avait très sérieusement informé que l’aluminium amplifierait probablement les ondes au lieu de les arrêter.
C’était une dispute parmi tant d’autres. Il était têtu. Lex se demanda si elle serait capable d’en supporter une de plus.
– Les pizzas seront là dans vingt minutes, dit Colin en reprenant sa place sur le canapé. Ça va s’arranger, tu verras.
Il passa un bras bronzé par-dessus son épaule et l'attira contre lui. Il mit ses pieds sur la table basse et commença à siroter l’une des bières qu’il avait ramenées, plaçant la deuxième dans la main de Lex. Il lança le film et s’installa, son attention focalisée sur l’écran.
Elle se pressa contre lui sans vraiment regarder le film. Elle fixait leurs reflets qui apparaissaient dans l’écran lorsque celui-ci était assez sombre. D’un côté, Colin buvait joyeusement sa bière, en souriant. De l’autre, elle paraissait invisible, ses cheveux bruns se fondant dans le pull à col roulé noir qu’elle avait porté au travail. Ses lèvres étaient crispées par la tension et ses yeux chocolat cernés par la fatigue. Elle avait l’air épuisée, anéantie.
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