Mais Chateaubriand et son Génie du Christianisme n'existaient pas au moment où s'ouvre cette histoire, – et ces dames de Ferjol n'avaient jusqu'alors reçu chez elles que des religieux d'Ordres moins poétiques et moins sévères, qui, dehors de l'église, se retrouvaient gens du monde, et qui ne partaient pas des maisons où ils avaient été reçus, sans toutes les révérences de rigueur.
Seulement, le Père Riculf n'était point assez dans les bonnes grâces de ces dames pour qu'elles fussent blessées, comme Agathe, de la silencieuse soudaineté de son départ. Il s'en allait ; eh bien, qu'il s'en allât ! Il les avait plus gênées qu'il ne leur avait été agréable, tout le temps qu'il était demeuré chez elles. Leur deuil serait léger. Une fois parti, elles n'y penseraient plus.
Mais la vieille Agathe avait, elle, des ressentiments plus profonds. Le Père Riculf était, pour elle, ce quelque chose d'inexplicable et d'absolu qu'on appelle une antipathie.
« Nous en v'là donc délivrées ! – dit-elle. Elle se reprit cependant : – J'ai peut-être tort, – fit-elle, – de parler comme je fais là d'un homme de Dieu. Mais, sainte Agathe ! c'est plus fort que moi. Il ne m'a rien fait, mais j'ai de mauvaises idées sur ce capuchon-là…
Ah ! quelle différence avec les prédicateurs qui sont venus ici les autres années, si affables, si apostoliques, si bons au pauvre monde. Tenez ! Madame, vous souvenez-vous de ce Prieur des prémontrés, s'il y a deux ans ? Était-il doux et charmant, celui-là ! Tout en blanc, jusqu'aux souliers, comme une mariée, à qui le Père Riculf, avec son froc de couleur d'amadou, ressemble comme un loup ressemble à un agneau !
– Il ne faut avoir de mauvaises idées sur personne, Agathe, – dit gravement Mme de Ferjol, pour l'acquit de sa conscience de dévote, et qui peut-être se faisait son procès à elle-même tout en le faisant à la vieille servante. – Le Père Riculf est un prêtre et un religieux de beaucoup d'éloquence et de foi ; et, depuis qu'il est avec nous, nous n'avons surpris ni dans sa conversation ni dans sa conduite la moindre chose qu'on pût retourner contre lui. Vous n'avez donc aucune raison, Agathe, pour en mal penser. N'est-ce pas, Lasthénie ?…
– C'est vrai, maman, – dit Lasthénie de sa voix pure. – Mais ne grondez pas trop Agathe. Nous avons dit bien des fois, entre nous, que le Père Riculf avait quelque chose d'inquiétant et d'impossible à définir… À quoi cela tient-il ? On ne pense pas de mal, mais on ne se fie pas… Vous, qui êtes si forte et si raisonnable, maman, vous n'avez pas voulu aller à confesse à lui plus que moi.
– Et nous avons eu peut-être tort toutes les deux ! répondit la sévère femme, dont le jansénisme remontait sans cesse dans la conscience pour la troubler. – Il aurait mieux valu se vaincre ; car écouter les sentiments sans raison qui nous empêchaient d'aller nous agenouiller à ses pieds, c'était déjà une condamnation dans l'intérieur de nos âmes, que nous n'avions pas le droit de prononcer.
– Ah ! – dit naïvement la jeune fille – jamais je n'aurais pu, maman !… Il me faisait, cet homme, une peur que je n'aurais jamais dominée.
– Il ne parlait que de l'Enfer ! Il avait toujours l'Enfer à la bouche ! – dit Agathe, haletante, comme si elle eût voulu justifier la peur que le Père Riculf inspirait à la jeune fille. – Jamais on n'a tant prêché sur l'Enfer. Il nous damnait toutes… J'ai connu un prêtre dans mon pays, il y a bien des années, qu'on appelait aux Augustines de Valognes : le Père l'Amour, parce qu'il ne prêchait que l'amour de Dieu et le Paradis.
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