Il n'en est pas de moi comme de cette muse animée à versifier par une beauté fardée, qui emprunte au ciel même ses ornements, et qui compare toutes les beautés à sa belle, accumulant les similitudes les plus ambitieuses, le soleil et la lune, les riches joyaux de la terre et de la mer, les premières fleurs du mois d'avril et tout ce que les airs du ciel renferment de rare dans leur vaste sein. Pour moi qui suis sincère en amour, permettez-moi d'écrire sincèrement, et puis, croyez-moi, celle que j'aime est aussi belle qu'aucun enfant des hommes, bien qu'elle ne soit pas aussi éclatante que ces flambeaux d'or fixés dans les cieux; que ceux qui aiment à parler par ouï-dire en disent davantage, je ne veux pas vanter ma marchandise, puisque je n'ai pas l'intention de la vendre.
Mon miroir ne me persuadera pas que je suis vieux, tant que la jeunesse et toi serez du même âge; mais lorsque j'apercevrai chez toi les rides du temps, alors j'attendrai la mort pour expier ma vie, car toute cette beauté qui te pare n'est que le vêtement charmant de mon coeur qui vit dans ton sein, comme le tien en moi. Comment donc pourrais-je être plus âgé que toi? C'est pourquoi, mon amour, prends soin de toi comme je prends soin de moi-même; non pour moi, mais pour toi, puisque je porte ton coeur, que je garderai tendrement comme une bonne nourrice garde son enfant du mal. Ne compte pas sur ton coeur; si le mien expire, tu m'as donné le tien, mais non pour le reprendre.
Comme un pauvre acteur sur la scène qui, dans son effroi, oublie son rôle, ou comme un animal furieux qui, plein de rage, affaiblit son propre coeur par l'excès de sa force, ainsi moi, par manque de confiance, j'oublie d'accomplir toute la cérémonie des rites de l'amour, et surchargé du fardeau de la force de mon amour, l'énergie de mon amour semble décroître. Oh! que mes lèvres servent d'éloquence et d'avocats muets à mon coeur qui te parle, ils plaident mon amour et réclament ma récompense mieux que cette langue qui en a souvent dit bien davantage. Oh! apprends à lire ce qu'a écrit un amour silencieux, c'est un apanage de l'intelligence de l'amour que d'entendre avec les yeux.
Mes yeux m'ont servi de peintre et ont retracé l'usage de ta beauté sur la table de mon coeur; mon corps est le cadre qui contient ce portrait, et la perspective est le plus grand art du peintre; mais il faut que vous jugiez du talent à travers le peintre, pour trouver votre fidèle image là où elle repose suspendue dans le magasin de mon coeur; les fenêtres en sont vitrées de tes yeux. Vois quels services les yeux ont rendu aux yeux. Mes yeux ont retracé ta personne, et les tiens servent de fenêtre à mon sein; le soleil prend plaisir à regarder au travers pour te contempler à son aise, mais il manque aux yeux un secret pour compléter leur art, ils ne retracent que ce qu'ils voient, ils ne connaissent pas le coeur.
Que ceux qui sont en faveur auprès de leurs étoiles se parent d'honneurs publics et de titres orgueilleux; pour moi à qui la fortune refuse de semblables triomphes, je trouve une joie inespérée dans ce que j'honore le plus. Les favoris des grands princes étendent leurs pétales au soleil comme le tournesol; leur orgueil reste enfoui dans leur sein, car un froncement de sourcil les fait périr dans toute leur gloire. Le guerrier qui a lutté toute sa vie, célèbre par son courage, n'a qu'à perdre une fois la partie après un millier de victoires, il est effacé du livre de l'honneur, et on oublie tout ce qu'il avait gagné; tandis que moi, je suis heureux, j'aime et je suis aimé, là où je ne puis changer et où l'on ne changera pas pour moi.
Maître de mon amour, ton mérite ayant fortement uni ma fidélité à ton allégeance, je t'envoie cette ambassade écrite pour te témoigner ma fidélité, non pour faire montre de mon esprit. Une fidélité si grande qu'un esprit aussi pauvre que le mien peut faire croire sans valeur, faute de mots pour la dépeindre, si je n'avais l'espoir que quelque bonne pensée à toi, dans le fond de ton âme, donnera ce qui manque à ma nudité, jusqu'à ce que toutes les étoiles qui guident les hommes dans leur marche luisent sur moi gracieusement et, d'un visage favorable, revêtissent mon affection déguenillée d'un vêtement convenable, pour me rendre digne de ta précieuse tendresse. Alors j'oserai me vanter de l'amour que je te porte, jusque-là je n'ose pas montrer mon visage là où tu pourrais me mettre à l'épreuve.
Épuisé de fatigue, je me hâte d'aller chercher mon lit, doux repos des membres lassés par la marche; mais voici que ma tête commence un voyage, pour faire travailler mon esprit, maintenant que le travail du corps est achevé; alors toutes mes pensées m'emportent bien loin du lieu où je me trouve, pour entreprendre avec ardeur un pèlerinage vers toi, elles tiennent ouvertes mes paupières qui retombent, et je contemple cette obscurité que voient les aveugles; seulement la vue imaginaire de mon âme présente ton ombre à mes yeux sans regard, et, comme un joyau apparaissant à travers une nuit obscure, elle embellit la nuit sombre et rajeunit son vieux visage. C'est ainsi que mon corps le jour, et la nuit mon esprit ne trouvent point de repos, grâce à toi, grâce à moi.
Comment donc puis-je me conserver dans un état satisfaisant, lorsque je suis privé des bienfaits du repos? lorsque la nuit ne soulage pas le poids du jour, mais que le jour est opprimé par la nuit et la nuit par le jour? Lorsque tous deux, bien qu'ennemis de leurs règnes respectifs, joignent les mains pour me torturer, l'un par la fatigue, l'autre par ses plaintes, de l'éloignement où je travaille, éloigné surtout de toi. Pour lui plaire, je dis au jour: Que tu es brillant, et que tu lui fais honneur quand les nuages couvrent le ciel; je flatte de même la nuit au teint sombre en lui disant que lorsque les étoiles étincelantes ne scintillent pas, tu dores la soirée, mais le jour allonge tous les jours mes peines, et toutes les nuits la nuit me fait paraître plus pénible la longueur de mes souffrances.
Dans ma disgrâce auprès de la fortune et aux yeux des hommes, lorsque je déplore tout seul mon abandon, et que j'assiège de mes cris inutiles un ciel qui m'est sourd, lorsque je me contemple, et que je maudis mon sort, lorsqu'il m'arrive de souhaiter les riches espérances de l'un, les traits de celui ci, les amis de celui-là, lorsque je désire l'habileté de cet homme et la portée de cet autre, jouissant le moins possible de ce que je possède le plus, tout en méprisant presque moi-même de pareilles pensées, il m'arrive de songer à toi, et alors ma situation, semblable à l'alouette qui s'élance au point du jour d'une terre morne, va chanter des cantiques aux portes du ciel, car le doux souvenir de ton amour m'apporte tant de richesse, que je dédaigne alors de changer de place avec les rois.
Lorsque dans mes séances de réflexions silencieuses et douces je rappelle le souvenir des choses passées, je soupire à la pensée des choses que j'ai cherchées et que j'ai manquées, et je déplore de nouveau, à propos des malheurs passés, le précieux temps que j'ai perdu. C'est alors qu'il m'arrive de noyer des yeux qui ne sont pas habitués à couler, au souvenir d'amis bien chers cachés dans la nuit éternelle de la mort; c'est alors que je pleure de nouveau les douleurs dès longtemps effacées de l'affection, et que je déplore la disparition de tant de choses évanouies. C'est alors que je puis regretter des chagrins passés en énumérant lentement malheur après malheur dans la triste liste des gémissements qui m'ont déjà arraché tant de larmes; mais s'il m'arrive de penser à toi, dans ce moment-là, chère amie, toutes mes pertes sont réparées, tous mes chagrins sont finis.
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