Ça m’était bien égal en fait…
« Je sais pas mon oncle !…
— Tu sais rien !… Tu sais jamais rien !…
— Je t’aime bien mon oncle, tu sais !… Mais je peux plus rester !… Je peux plus !… T’es bien bon toi, avec moi !… Je mérite pas mon oncle ! Je mérite pas !…
— Pourquoi ça que tu mérites pas ?… dis petit con ?…
— Je sais pas mon oncle !… Je te fais du chagrin aussi !… Je veux partir mon oncle !… Je veux aller m’engager demain.
— Ah ! ben alors c’est entendu !… J’accepte ! Ça va ! C’est conclu ! Mais ça nous dit toujours pas quel régiment que t’as choisi ?… Ah ! mais c’est que t’as juste le temps !… » Il se moquait de moi dans la combine.
« Tu veux pas aller dans la “ griffe ” ?… T’es pour la “ Reine des Batailles ” ?… Non ?… Je vois ça !… Tu veux rien porter !… Les trente-deux kilos ?… Tu voudrais mon fiotte ! tu voudrais qu’on te porte ! Dissimulez-vous Nom de Dieu !… T’en pinces pas ?… Sous le fumier là qu’est à gauche !… Au défilé ! Un ! deux ! un ! deux !… T’en veux pas des belles manœuvres ?… Ah ! Ah ! mon lascar !… Utilisez donc votre terrain !… Tu dois être calé dedans ?… T’en as assez vu des terrains ?… Tu sais maintenant comment c’est fait ?… Les poireaux ? la cafouine autour ?… Hein ?… Mais t’aimais mieux les étoiles !… Ah ! Tu changes d’avis ?… T’es pas long !… Astronome alors ?… Astronome !… T’iras au “ 1er Télescope ” ! Régiment de la Lune !… Non ? Tu veux rien de ce que je te présente ?… T’es pas facile à contenter ! Je vois que t’aimes mieux la “ griffe ” quand même !… T’es-t’y bon marcheur ?… T’en auras des cloques mon jésus !… “ Les godillots sont lourds dans le sac ! les godillots !… ” T’aimes mieux des furoncles aux fesses ?… Alors bon ! dans la cavalerie !… En fourrageur ! Nom de Dieu !… Dans les petits matafs ça te dit rien ?…
Y a de la goutte à boire là-haut !
Y a de la goutte à boire !… »
Il faisait le clairon avec sa bouche : « Ta ra ta ta ta ! Ta ta ta !…
— Ah ! Pas ça mon oncle !… Pas ça !… » Il me rappelait l’autre numéro.
« Comme t’es sensible, ma pauvre bouille !… Comment que tu feras bien dans la vache bataille ?… Attends !… T’as pas tout réfléchi ?… Reste là ! T’as encore cinq minutes !… Reste avec moi encore un peu… Une affaire de deux, trois semaines !… Le temps que ça se dessine !… Tiens mettons un mois !…
— Non mon oncle !… J’aime mieux tout de suite…
— Ah ! ben toi ! t’es comme ta mère !… Quand t’as une musique dans le cassis, tu l’as pas ailleurs !… Ah ! Je sais plus quoi te dire… Tu voudrais pas être cuirassier ?… Gras à lard comme te voilà, tu ferais pas mal sur un cheval ! Ils te verraient plus dans ta cuirasse !… Tu serais fantôme au régiment !… Tu risquerais plus un coup de pique !… Ça c’est une affaire !… Ah ! C’est la merveilleuse idée ! Mais là encore faut que t’engraisses !… même comme fantôme t’as pas assez !… Ma pauvre andouille, il te manque au moins dix kilos !… Et je suis pas exagéré !… Toujours dix kilos !… T’aimes mieux cette combinaison-là ?…
— Oui mon oncle !…
— Je te vois d’ici moi, à la charge !… » Moi je voyais rien du tout !…
« Oui mon oncle !… Oui, je veux bien attendre…
— Les “ Gros frères ” ! Ferdinand !… “ Gros frère !… ” L’ami des nourrices ! Le soutien de la “ fantabosse ” ! La terreur des artilleries !… On aura de tout dans la famille !… T’iras pas dans la marine… T’as déjà comme ça le mal de mer !… Alors tu comprends ?… Et ton père qu’a fait cinq années ? Qu’est-ce qu’il va nous dire ?… Lui, c’était dans les batteries lourdes !… On aura de tout dans la famille !… Toute l’armée mon pote !… Le 14 juillet chez soi !… Hein ?… Taratata ! Ta ta ta !… »
Toujours pour me dérider, il a cherché son képi, il était au-dessus de la cheminée, à droite près de la glace… Je le vois encore son pompon, un petit poussin jaune… Il se l’est posé en bataille…
« Voilà Ferdinand ! Toute l’armée… » C’était joyeux comme conclusion.
« Ah ! va donc ! qu’il s’est ravisé… Tout ça c’est du flan !… T’as pas fini de changer d’avis !… Elle est pas encore dans le sac ta feuille… ton matricule ? mon pote ? Va mon petit tringlot !… T’as bien le temps !… » Il a soupiré… « C’est jamais la place qui manque pour faire des conneries !… Actuellement t’es bouleversé… Ça se comprend un peu… T’as chialé comme une Madeleine… Tu dois avoir beaucoup soif !… Non ?… Tu veux pas un coup de ginglard ?… J’ai un calvados extra !… Je te mettrais du sucre avec… T’en veux pas ?… T’aimes mieux un coup de rouge tout simple, du rouquin maison ? Tu veux que je te le fasse chauffer ?… Tu veux pas une camomille ?… Tu veux pas un coup d’anisette ?… T’aimes mieux un coup de polochon ? Je vois tout ce que c’est !… Du roupillon pour commencer !… C’est la sagesse même !… C’est moi qui déconne tu vois… Ton besoin, c’est dix heures d’affile… Allez ouste !… mon cher neveu !… Assez bavoché comme ça ! Sortons la litière du Jésus !… Ah ! le pauvre vieux mironton !… Il a eu bien trop de misères ! Ça te réussit pas la campagne ! Ça mon fiote je l’aurais juré… Reste donc toujours avec moi !…
— Je voudrais bien mon oncle… Je voudrais bien !… Mais c’est pas possible, je te jure !… Plus tard mon oncle !… Plus tard ? tu veux pas ?… Je ferais rien de bon mon oncle, tout de suite… Je pourrais plus !… Dis mon oncle, tu veux bien que je parte ?… Dis que tu demanderas à papa ?… Je suis sûr qu’il voudra bien lui !…
— Mais non ! Mais non !… Moi je ne veux pas… » Ça le mettait en boule… « Ah ! Ce que t’es têtu quand même !… Ah ! Ce que tu peux être obstiné !… absolument comme Clémence !… Ma parole ! Tu tiens de famille !… Mais tu te ravages à plaisir !… Mais le régiment mon petit pote !… mais c’est pas comme tu t’imagines !… C’est plus dur encore qu’un boulot !… Tu peux pas te rendre compte… Surtout à ton âge !… Les autres, ils ont vingt et une piges ! c’est déjà un avantage. T’aurais pas la force de tenir… On te ramasserait à la cuiller…
— Je sais pas mon oncle, mais ça vaudrait mieux que j’essaye !…
— Ah ! Du coup, c’est de la manie !… Allez ! Allez ! On va se pieuter ! Maintenant tu dis plus que des sottises, demain nous en reparlerons… Moi je crois surtout que t’es à bout… C’est une idée comme une fièvre. Tu bafouilles et puis c’est marre… Ah ! Ils t’ont fadé comme coup de serpe… Ah ! il était grand temps que tu rentres !… Ah ! Ils t’ont bien arrangé !… Ils t’ont soigné les agricoles !… Ah ! c’est le bouquet !… Maintenant tu déconnes ! Eh bien mon colon !… Ah ! moi alors, je vais te restaurer… Et tu vas me cacher quelque chose !… Ça je peux déjà maintenant te prévenir !… Tous les jours des farineux !… du beurre ! et de la carne ! et de première !… pas des petites côtelettes je t’assure !… Et du chocolat chaque matin !… Et puis l’huile de foie de morue à la bonne timbale ! Ah ! Mais moi je sais ce qu’il faut faire !… C’est fini les cropinettes ! et les sauces de courant d’air !… Mais oui mon petit ours !… C’est terminé la claquette !… Allons ouste ! au plume à présent !… Tout ça c’est des balivernes !… T’es simplement impressionné !… Voilà moi, ce que je trouve… T’es retourné de fond en comble !… À ton âge, on se rempiffe d’autor !… Il suffit de plus y penser !… Penser à autre chose !… Et de bouffer comme quatre !… comme trente-six !… Dans huit jours ça paraîtra plus ! C’est garanti Banque de France ! Et Potard Potin ! »
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