« Fermez bien vos lourdes surtout !… » que j’ai recommandé… J’ai essayé par la fenêtre d’apercevoir la daronne… Elle était déjà au diable !… Je me suis élancé au galop… J’ai eu un coton terrible pour la rattraper… Elle fonçait à toute pression à travers bois et labours !… Enfin j’ai collé au train ! Il fallait que je me désosse ! Merde !… rien que pour la suivre !… Je rassemblais quand même des idées… Comme ça… tout en dératant !… Et dans la fièvre du galop… Il me montait une vache suspicion… « Merde ! que je me disais d’afur !… T’es encore tout lopaille mon pote ! C’est la grosse bite !… C’est l’entourloupe !… le truc du petit pont de la Druve ?… Balle-Peau ! Une salade !… Encore bien foireuse ! et une menterie culottée !… Une attrape sinistre et puis tout ! » Ah !… Je m’en gourais fortement !… Un nibé charogne du facteur !… Il en était capable ce glaire !… Et les autres anthropophages ?… Et comment qu’ils étaient suspects !… Et voilà tout ce qui me revenait en plein dans la course !… Et notre dabe en ce moment précis ?… Pendant qu’on se fendait nous la pêche à cavaler !… pour son cadavre !… où ça qu’il se trouvait ?… Il était peut-être qu’à la Grosse Boule ?… En train de se tailler la manoche ! et de se faire pisser l’anisette !… C’était encore nous les victimes !… J’y serais pas surpris d’une seconde !… Question d’être bourrique et ficelle il avait pas besoin de soupçons !… Une pichenette ! qu’on était marrons !…
Après une grande traite en plat… à travers les molles cultures c’était une raide escalade à flanc de la colline… Arrivés là, tout là-haut, on découvrait bien par exemple !… pour ainsi dire tout le paysage !… On soufflait pire que des bœufs avec la patronne. On s’est assis une seconde, au revers du remblai pour mieux dominer… Elle avait pas très bonne vue la pauvre baveuse… Mais moi je biglais de façon perçante… On me cachait absolument rien à vingt kilomètres d’oiseau… De là, du sommet, après la descente et la Druve qui coulait en bas… le petit pont et puis le petit crochet de la route… Là j’ai discerné alors en plein… au beau milieu de la chaussée, une espèce de gros paquet… Y avait pas d’erreur !… À peut-être trois kilomètres ça ressortait sur le gravier… Ah ! Et puis à l’instant même… Au coup d’œil !… j’ai su qui c’était… À la redingote !… au gris… et puis au jaune rouille du grimpant… On s’est dépêché dare-dare… On a dévalé la côte… « Marchez toujours ! marchez toujours ! que j’ai dit… Suivez ! vous ! tout droit… Moi je pique par là !… par le sentier !… » Ça me coupait énormément… J’étais en bas à la minute… Juste sur le tas… Juste devant… Il était tout racorni le vieux… ratatiné dans son froc… Et puis alors c’était bien lui !… Mais la tête était qu’un massacre !… Il se l’était tout éclatée… Il avait presque plus de crâne… À bout portant quoi !… Il agrippait encore le flingue… Il l’étreignait dans ses bras… Le double canon lui rentrait à travers la bouche, lui traversait tout le cassis… Ça embrochait toute la compote… Toute la barbaque en hachis !… en petits lambeaux, en glaires, en franges… Des gros caillots, des plaques de tifs… Il avait plus de châsses du tout… Ils étaient sautés… Son nez était comme à l’envers… C’est plus qu’un trou sa figure… avec des rebords tout gluants… et puis comme une boule de sang qui bouchait… au milieu… coagulée… un gros pâté… et puis des rigoles qui suintaient jusqu’à l’autre côté de la route… Surtout ça coulait du menton qu’était devenu comme une éponge… Y en avait jusque dans le fossé… ça faisait des flaques prises dans la glace… La vieille elle a bien regardé tout… Elle restait là plantée devant… Elle a pas fait ouf !… Alors je me suis décidé… « On va le porter sur le remblai… » que j’ai dit comme ça… On s’agenouille donc tous les deux… On ébranle un peu d’abord tout le paquet… On essaye de décoller… On fait un peu de force… Je tiraille moi sur la tête… Ça se détachait pas du tout !… On a jamais pu !… C’était adhérent bien de trop… Surtout des oreilles qu’étaient toutes soudées !… C’était pris comme un seul bloc avec les graviers et la glace… Le tronc même et puis les jambes on aurait pu les soulager en tirant dessus assez fort… Mais pas la tête !… Le hachis… ça faisait un pavé compact avec les cailloux de la route… C’était pas possible… Le corps ratatiné en Z… le canon embrochant la tête… Il fallait d’abord le détendre… et puis ressortir l’arme… Il avait les reins tout braqués… le derrière pris dans les talons… Il s’était convulsé à froid… J’inspecte un peu les alentours. Je vois une ferme en contrebas… C’était peut-être celle du facteur ?… Celle dont il m’avait parlé ?… Le lieu des « Plaquets »… Je me dis : « Voilà c’est l’endroit même… C’est sûrement ça !… » Je préviens ma grognasse…
« Hé bougez donc plus !… que je lui fais… Je vais chercher du monde !… Je retourne tout de suite !… Ils vont nous aider !… Bougez plus du tout !… C’est sûrement ça la ferme à Jeanne… C’est ceux-là qui l’ont entendu. »
J’arrive comme ça, près de la bâtisse… Je cogne d’abord à la porte et puis contre la persienne… Personne n’a l’air de me gaffer… Je recommence… Je fais demi-tour par les écuries… Je rentre franchement dans la cour… Je cogne et je recogne ! Je hurle… Ils bougent toujours pas !… Et je sens pourtant qu’y avait du monde !… Leur cheminée fume !… Je secoue violemment la lourde… Je tape, je carillonne les carreaux… Je vais tout déglinguer les volets si ils s’amènent pas… Y a une gueule quand même qui débusque !… C’est son gars à la mère Jeanne !… C’est l’Arton du premier lit… Il risque pas lerche… Il montre juste un peu son blaze… J’explique ce que je voudrais… Un coup de main pour le transport… Ah ! ça la brûle immédiatement d’entendre émettre des mots pareils… c’est elle qui s’oppose… qui s’anime du coup !… Elle veut pas qu’on parle d’y toucher !… Elle l’empêche même de me répondre son petit gars foireux… Elle veut pas du tout qu’il sorte !… Il va rester là, bon sang ! À côté de sa mère !… Si je peux pas l’enlever de la chaussée… J’ai qu’à chercher les gendarmes !… « Ils sont faits pour ça, eux autres !… » Pour rien au monde les Arton de la ferme qu’ils s’en mêleraient… Ils ont rien vu !… Rien entendu !… Ils savent même pas de quoi il s’agit !…
La mère des Pereires là-haut, montée sur le rebord du talus, elle m’observait parlementer !… Elle poussait des clameurs atroces… Elle faisait un raffut dégueulasse… C’était bien dans sa nature… Tout de suite après le premier émoi elle était plus tenable !… Je leur montrai de loin, à ces deux sauvages, la pauvre femme en désespoir !…
« Vous entendez !… Vous entendez pas ?… L’horrible douleur ?… On peut quand même pas lui laisser son mari comme ça dans la boue !… De quoi que vous craignez ?… C’est pas un chien nom de Dieu !… Il a pas la rage !… C’est pas un veau !… Il a pas les aphtes !… Il s’est tué et puis voilà !… C’était un homme sain… Il a pas la morve !… Faudrait au moins qu’on l’abrite un petit moment dans le hangar !… Le temps que les autres ils arrivent !… Avant qu’il passe des voitures… Elles vont lui monter sur le corps ! » Ils démordaient pas les cacas !… Ils se butaient même de plus en plus à mesure que j’insistais… « Mais non ! Mais non !… » qu’ils s’insurgeaient ! Certainement qu’ils le prendraient pas !… Jamais chez eux !… Ça jamais absolument… Ils ont même pas voulu m’ouvrir… Ils me disaient de barrer ailleurs… Ils commençaient à bien me faire chier… J’y ai dit alors à cette fausse tripe… :
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