Et il continua:
Ce que votre pensée à votre cœur confie…
– Ah! voilà la pensée qui confie au cœur! Pourquoi le cœur ne confierait-il pas aussi bien à la pensée? Ma foi, quant à moi, je n’y vois pas d’obstacle. Où diable ai-je été associer ces deux hémistiches? Par exemple, le troisième est bon:
Iris, pourquoi faut-il que je passe ma vie…
quoique la rime ne soit pas riche… vie et confie … Ma foi! l’abbé Boyer, qui est un grand poète, a fait rimer, comme moi, vie et confie dans la tragédie d’ Oropaste, ou le Faux Tonaxare, sans compter que M. Corneille ne s’en gêne pas dans sa tragédie de Sophonisbe . Va donc pour vie et confie. Oui, mais le vers est impertinent. Je me rappelle que le roi s’est mordu l’ongle, à ce moment. En effet, il a l’air de dire à Mlle de La Vallière: «D’où vient que je suis ensorcelé de vous?» Il eût mieux valu dire, je crois:
Que bénis soient les dieux qui condamnent ma vie.
Condamnent! Ah bien! oui! voilà encore une politesse! Le roi condamné à La Vallière… Non!
Puis il répéta:
Mais bénis soient les dieux qui… destinent ma vie.
– Pas mal; quoique destinent ma vie soit faible; mais ma foi! tout ne peut pas être fort dans un quatrain. À plus aimer vos yeux… Plus aimer qui? quoi? obscurité… L’obscurité n’est rien; puisque La Vallière et le roi m’ont compris, tout le monde me comprendra. Oui, mais voilà le triste!… c’est le dernier hémistiche: Qui m’ont joué ces tours. Le pluriel forcé pour la rime! et puis appeler la pudeur de La Vallière un tour! Ce n’est pas heureux. Je vais passer par la langue de tous les gratte-papier mes confrères. On appellera mes poésies des vers de grand seigneur; et, si le roi entend dire que je suis un mauvais poète, l’idée lui viendra de le croire.
Et, tout en confiant ces paroles à son cœur, et son cœur à ses pensées, le comte se déshabillait plus complètement. Il venait de quitter son habit et sa veste pour passer sa robe de chambre, lorsqu’on lui annonça la visite de M. le baron du Vallon de Bracieux de Pierrefonds.
– Eh! fit-il, qu’est-ce que cette grappe de noms? Je ne connais point cela.
– C’est, répondit le laquais, un gentilhomme qui a eu l’honneur de dîner avec M. le comte, à la table du roi, pendant le séjour de Sa Majesté à Fontainebleau.
– Chez le roi, à Fontainebleau? s’écria de Saint-Aignan. Eh! vite, vite, introduisez ce gentilhomme.
Le laquais se hâta d’obéir. Porthos entra.
M. de Saint-Aignan avait la mémoire des courtisans: à la première vue, il reconnut donc le seigneur de province, à la réputation bizarre, et que le roi avait si bien reçu à Fontainebleau, malgré quelques sourires des officiers présents. Il s’avança donc vers Porthos avec tous les signes d’une bienveillance que Porthos trouva toute naturelle, lui qui arborait, en entrant chez un adversaire, l’étendard de la politesse la plus raffinée.
De Saint-Aignan fit avancer un siège par le laquais qui avait annoncé Porthos. Ce dernier, qui ne voyait rien d’exagéré dans ces politesses, s’assit et toussa. Les politesses d’usage s’échangèrent entre les deux gentilshommes; puis, comme c’était le comte qui recevait la visite:
– Monsieur le baron, dit-il, à quelle heureuse rencontre dois-je la faveur de votre visite?
– C’est justement ce que je vais avoir l’honneur de vous expliquer, monsieur le comte, répliqua Porthos; mais, pardon…
– Qu’y a-t-il, monsieur? demanda de Saint-Aignan.
– Je m’aperçois que je casse votre chaise.
– Nullement, monsieur, dit de Saint-Aignan, nullement.
– Si fait, monsieur le comte, si fait, je la romps; et si bien même, que, si je tarde, je vais choir, position tout à fait inconvenante dans le rôle grave que je viens jouer auprès de vous.
Porthos se leva. Il était temps, la chaise s’était déjà affaissée sur elle-même de quelques pouces. De Saint-Aignan chercha des yeux un plus solide récipient pour son hôte.
– Les meubles modernes, dit Porthos tandis que le comte se livrait à cette recherche, les meubles modernes sont devenus d’une légèreté ridicule. Dans ma jeunesse, époque où je m’asseyais avec bien plus d’énergie encore qu’aujourd’hui, je ne me rappelle point avoir jamais rompu un siège, sinon dans les auberges avec mes bras.
De Saint-Aignan sourit agréablement à la plaisanterie.
– Mais, dit Porthos en s’installant sur un lit de repos qui gémit, mais qui résista, ce n’est point de cela qu’il s’agit, malheureusement.
– Comment, malheureusement? Est-ce que vous seriez porteur d’un message de mauvais augure, monsieur le baron?
– De mauvais augure pour un gentilhomme? oh! non, monsieur le comte, répliqua noblement Porthos. Je viens seulement vous annoncer que vous avez offensé bien cruellement un de mes amis.
– Moi, monsieur! s’écria de Saint-Aignan; moi, j’ai offensé un de vos amis? Et lequel, je vous prie?
– M. Raoul de Bragelonne.
– J’ai offensé M. de Bragelonne, moi? s’écria de Saint-Aignan. Ah! mais, en vérité, monsieur, cela m’est impossible; car M. de Bragelonne, que je connais peu, je dirai même que je ne connais point, est en Angleterre: ne l’ayant point vu depuis fort longtemps, je ne saurais l’avoir offensé.
– M. de Bragelonne est à Paris, monsieur le comte, dit Porthos impassible; et, quant à l’avoir offensé, je vous réponds que c’est vrai, puisqu’il me l’a dit lui-même. Oui, monsieur le comte, vous l’avez cruellement, mortellement offensé, je répète le mot.
– Mais impossible, monsieur le baron, je vous jure, impossible.
– D’ailleurs, ajouta Porthos, vous ne pouvez ignorer cette circonstance, attendu que M. de Bragelonne m’a déclaré vous avoir prévenu par un billet.
– Je n’ai reçu aucun billet, monsieur, je vous en donne ma parole.
– Voilà qui est extraordinaire! répondit Porthos; et ce que dit Raoul…
– Je vais vous convaincre que je n’ai rien reçu dit de Saint-Aignan.
Et il sonna.
– Basque, dit-il, combien de lettres ou de billets sont venus ici en mon absence.
– Trois, monsieur le comte.
– Qui sont?…
– Le billet de M. de Fiesque, celui de Mme de La Ferté, et la lettre de M. de Las Fuentès.
– Voilà tout?
– Tout, monsieur le comte.
– Dis la vérité devant Monsieur, la vérité, entends-tu bien? Je réponds de toi.
– Monsieur, il y avait encore le billet de…
– De?… Dis vite, voyons.
– De Mlle de La Val…
– Cela suffit, interrompit discrètement Porthos. Fort bien, je vous crois, monsieur le comte.
De Saint-Aignan congédia le valet et alla lui-même fermer la porte; mais, comme il revenait, regardant devant lui par hasard, il vit sortir de la serrure de la chambre voisine ce fameux papier que Bragelonne y avait glissé en partant.
– Qu’est-ce que cela? dit-il.
Porthos, adossé à cette chambre, se retourna.
– Oh! oh! fit Porthos.
– Un billet dans la serrure! s’écria de Saint-Aignan.
– Ce pourrait bien être le nôtre, monsieur le comte, dit Porthos. Voyez.
De Saint-Aignan prit le papier.
– Un billet de M. de Bragelonne! s’écria-t-il.
– Voyez-vous, j’avais raison. Oh! quand je dis une chose, moi…
– Apporté ici par M. de Bragelonne lui-même, murmura le comte en pâlissant. Mais c’est indigne! Comment donc a-t-il pénétré ici?
De Saint-Aignan sonna encore. Basque reparut.
– Qui est venu ici, pendant que j’étais à la promenade avec le roi?
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