Aucun roman d’aventures n’est plus extraordinaire, plus mouvementé et plus curieux que les origines de la grande manufacture de Meissen, en Saxe.
En 1701, un alchimiste, Johann-Friedrich Boucher, né à Schlaiz, en Voigtland, le 14 février 1682, vint à Dresde, implorer la protection de Frédéric-Auguste Ier, électeur de Saxe et roi de Pologne,
Il fuyait devant l’intérêt trop vif que lui témoignait un autre prince, le roi Frédéric-Guillaume. Cet alchimiste, en effet, placé d’abord en apprentissage chez le pharmacien Zorn, à Berlin, avait exécuté des travaux si curieux, fait des expériences si inattendues et si belles, que son souverain, craignant de le voir partir, le faisait épier et suivre partout. Gêné par cette surveillance royale, le jeune homme disparut et se rendit en Saxe.
L’électeur lui donna pour collaborateur Ehrenfried-Walter de Tschirnaus, qui cherchait alors le secret de la porcelaine dure des Chinois, secret qui paraissait introuvable.
En 1695, un inventeur nommé Morin avait découvert la pâte tendre ; mais il fallait découvrir la pâte dure ; et Tschirnaus s’égarait en des essais de vitrification incomplète, s’exaspérait de ses échecs, se décourageait aux tentatives avortées.
Son compagnon Bottcher débuta par fabriquer des vases, des aiguières de grès rouge vernissé, rehaussé de fleurs, d’écus armoriés, d’ornements de toute espèce, de feuillages d’or, etc., non fixés par le feu.
Ces échantillons furent présentés à son protecteur Frédéric-Auguste, qui fut envahi par une admiration si véhémente, qu’il ordonna à son tour de garder à vue son protégé. Un officier le suivait partout ; il ne pouvait plus faire un seul pas sans être accompagné, guetté ; et il demeurait prisonnier en une somptueuse demeure où personne même ne pouvait lui parler sans témoins.
S’indigna-t-il moins de cette surveillance acharnée sur lui la seconde fois que la première, ou bien fut-il plus strictement observé ? Le fait est qu’il ne disparut point, et que nous le voyons, en 1706, fuyant devant les Suédois qui envahissaient la Saxe et transportant ses instruments de travail dans la forteresse de Koenigstein.
En 1707, il revint à Dresde et continua ses essais, mais rien ne le mettait sur la voie du secret si ardemment poursuivi ; et ses longues recherches seraient demeurées inutiles sans un de ces merveilleux hasards où l’on croit toujours voir les intentions cachées du Destin.
Un maître de forge, nommé Johann Schnorr, s’étant embourbé sur le territoire d’Aue, près de Schneeberg, en une espèce de fondrière pleine d’une bouillie grasse et blanche, ramassa un peu de cette terre collée aux jambes de son cheval, et l’emporta chez lui. Il remarqua qu’en séchant elle devenait une poussière fine et légère ; et il eut l’idée de l’employer à poudrer les cheveux à la place de la farine de froment qu’on employait alors. Sa tentative ayant réussi, il se mit à vendre cette terre broyée, et le valet de Bottcher, nommé Slunker, en acheta pour son maître.
Cet homme s’aperçut alors que la poudre nouvelle était plus lourde que l’ancienne, et, tout en la semant sur la tête de son seigneur, il lui signala cette particularité.
Bottcher, poursuivi par l’idée fixe de l’introuvable pâte, examina cette poudre, la mania, la mouilla, l’analysa et eut l’inspiration de l’employer dans ses expériences. Or, c’était du kaolin ! La découverte était complète.
La manufacture royale de Saxe fut alors installée solennellement le 6 juin 1710, dans le vieux château d’Albertsburg à Meissen.
Ses produits eurent d’abord pour marque les deux lettres A. R. (Augustus Rex), puis deux épées en croix dans un triangle ; puis enfin deux épées croisées sans encadrement.
Bottcher mourut en 1719.
Qui ne les connaît et ne les adore, ces délicieux petits bonshommes, de Saxe, nation frêle et maniérée oui peuple nos cheminées ou sourit derrière les vitrines. Les frêles marquis, en culotte rose, en bas à trèfles, en habit bleu, dont l’épée relève un pan, s’inclinent devant les bergères à panier avec leur chevelure poudrée qui porte un parterre de fleurs. Une foule de personnages poupins font des grâces en leurs atours de porcelaine ; toute leur race émaillée et nabote nous donne l’idée d’un coquet royaume où vivrait ce petit monde, un Lilliput d’étagère. Ils sont jolis, jolis, proprets, gais et luisants ; et le charme de leurs couleurs séduit l’œil, nous les fait aimer, et nous fait faire des folies pour eux comme pour une maîtresse adorée. Car elle coûte cher, cette humanité minuscule, charmante ; et une petite danseuse en pâte de Saxe demande autant d’or pour entrer chez vous qu’une grande danseuse en chair vivante.
Les créateurs de ces êtres mignons s’appelèrent Hoeroldt, le modeleur ; Kaudler, le sculpteur, et Dietrich, le peintre.
Je vous souhaite, mesdames, un grand nombre de leurs enfants.
Médaillons féminins
( La Vie moderne , 8 janvier 1881)
Madame Pasca
Mme Pasca a eu des débuts pleins de gloire. Héloïse Paranquet l’a posée du premier coup parmi les « étoiles ». Puis sont venues Les Idées de Mme Aubray, Séraphine, Fanny Lear, Fernande, Adrienne Lecouvreur, Le Demi-Monde qui l’ont fait sacrer grande artiste.
Elle partit ensuite pour la Russie. Là-bas aussi elle domina, elle régna sur la société et, chose rare pour une femme de théâtre, les dames l’admiraient autant que les hommes, lui faisaient un triomphe d’amitié, un cortège de sympathies ardentes. Un fait curieux donnera la mesure de cette admiration passionnée. C’est un usage russe de faire bénir les maisons et les chambres. Or, un jour, une jeune fille appartenant à une grande famille fit venir un prêtre qui devait sanctifier son logis. Ce prêtre, un vieillard presque aveugle, suivit sa jolie cliente dans la chambre et le boudoir, pour prononcer la formule sacrée sur tous les objets familiers. Il commença à bénir tout et partout : les sièges, les meubles, le lit ; puis découvrant vaguement sur le mur une grande image qu’il prit pour une gravure pieuse, il s’acharnait à la bénir quand la jeune fille s’élança : « Non, mon père, pas cela, pas cela, c’est le portrait de Mme Pasca. » Le vieillard continua, passa dans le boudoir, bénit le divan, les tables, les rideaux, et, voyant sur un petit meuble une photographie dans un cadre d’or, il recommençait à bénir, quand la jeune fille se précipita de nouveau : « Non, mon père, pas cela, c’est la photographie de Mme Pasca. »
Or, Mme Pasca n’avait jamais vu cette jeune fille ; elle apprit seulement par sa mère que son image avait été ainsi deux fois bénie.
L’actrice nous est revenue et elle a été violemment applaudie dans tous les rôles qui lui furent confiés ; mais par une fatalité étrange, aucune des pièces où elle joua n’eut un grand et vrai succès. La voici maintenant qui lutte et se bat pour cette belle œuvre d’Émile Augier : Le Mariage d’Olympe. On ira la voir et l’admirer, mais la pièce ne semble pas devoir se relever absolument du jugement porté deux fois déjà par le publie.
Quand on donnera à Mme Pasca un vrai rôle à sa taille, elle apparaîtra définitivement au premier rang parmi les actrices de son temps.
Car elle a la force et le savoir, la grâce et l’énergie raisonnée, toutes les qualités supérieures de l’artiste. Sa voix mordante porte toujours, et personne comme elle aujourd’hui ne sait exprimer la passion. Élève de del Sarte et de M. Régnier, elle a étudié le répertoire classique et elle ne peut manquer, quelque jour, d’apparaître sur la scène illustre du Français, où sa place est marquée depuis longtemps, et où le publie l’attend avec impatience.
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