Si, sous divers prétextes, quelques-uns vous demandent leur congé, c'est qu'ils n'ont pas envie de combattre, ne les refusez pas tous; mais, en l'accordant à plusieurs, que ce soit à des conditions honteuses.
S'ils viennent en troupe vous demander justice d'un ton mutin et colère, écoutez leurs raisons, ayez-y égard; mais, en leur donnant satisfaction d'un côté, punissez-les très sévèrement de l'autre.
Si, lorsque vous aurez fait appeler quelqu'un, il n'obéit pas promptement, s'il est longtemps à se rendre à vos ordres, et si, après que vous aurez fini de lui signifier vos volontés, il ne se retire pas, défiez-vous, soyez sur vos gardes.
En un mot, la conduite des troupes demande des attentions continuelles de la part d'un général. Sans quitter de vue l'armée des ennemis, il faut sans cesse éclairer la vôtre; sachez lorsque le nombre des ennemis augmentera, soyez informé de la mort ou de la désertion du moindre de vos soldats.
Si l'armée ennemie est inférieure à la vôtre, et si elle n'ose pour cette raison se mesurer à vous, allez l'attaquer sans délai, ne lui donnez pas le temps de se renforcer; une seule bataille est décisive dans ces occasions. Mais si, sans être au fait de la situation actuelle des ennemis, et sans avoir mis ordre à tout, vous vous avisez de les harceler pour les engager à un combat, vous courez le risque de tomber dans ses pièges, de vous faire battre, et de vous perdre sans ressource.
Si vous ne maintenez une exacte discipline dans votre armée, si vous ne punissez pas exactement jusqu'à la moindre faute, vous ne serez bientôt plus respecté, votre autorité même en souffrira, et les châtiments que vous pourrez employer dans la suite, bien loin d'arrêter les fautes, ne serviront qu'à augmenter le nombre des coupables. Or si vous n'êtes ni craint ni respecté, si vous n'avez qu'une autorité faible, et dont vous ne sauriez vous servir sans danger, comment pourrez-vous être avec honneur à la tête d'une armée? Comment pourrez-vous vous opposer aux ennemis de État?
Quand vous aurez à punir, faites-le de bonne heure et à mesure que les fautes l'exigent. Quand vous aurez des ordres à donner, ne les donnez point que vous ne soyez sûr que vous serez exactement obéi. Instruisez vos troupes, mais instruisez-les à propos; ne les ennuyez point, ne les fatiguez point sans nécessité; tout ce qu'elles peuvent faire de bon ou de mauvais, de bien ou de mal, est entre vos mains.
Dans la guerre, le grand nombre seul ne confère pas l'avantage; n'avancez pas en comptant sur la seule puissance militaire. Une armée composée des mêmes hommes peut être très méprisable, quand elle sera commandée par tel général, tandis qu'elle sera invincible commandée par tel autre.
Article X De la topologie
Sun Tzu dit: Sur la surface de la terre tous les lieux ne sont pas équivalents; il y en a que vous devez fuir, et d'autres qui doivent être l'objet de vos recherches; tous doivent vous être parfaitement connus.
Dans les premiers sont à ranger ceux qui n'offrent que d'étroits passages, qui sont bordés de rochers ou de précipices, qui n'ont pas d'accès facile avec les espaces libres desquels vous pouvez attendre du secours. Si vous êtes le premier à occuper ce terrain, bloquez les passages et attendez l'ennemi; si l'ennemi est sur place avant vous, ne l'y suivez pas, à moins qu'il n'ait pas fermé complètement les défilés. Ayez-en une connaissance exacte pour ne pas y engager votre armée mal à propos.
Recherchez au contraire un lieu dans lequel il y aurait une montagne assez haute pour vous défendre de toute surprise, où l'on pourrait arriver et d'où l'on pourrait sortir par plusieurs chemins qui vous seraient parfaitement connus, où les vivres seraient en abondance, où les eaux ne sauraient manquer, où l'air serait salubre et le terrain assez uni; un tel lieu doit faire l'objet de vos plus ardentes recherches. Mais soit que vous vouliez vous emparer de quelque campement avantageux, soit que vous cherchiez à éviter des lieux dangereux ou peu commodes, usez d'une extrême diligence, persuadé que l'ennemi a le même objet que vous.
Si le lieu que vous avez dessein de choisir est autant à la portée des ennemis qu'à la vôtre, si les ennemis peuvent s'y rendre aussi aisément que vous, il s'agit de les devancer. Pour cela, faites des marches pendant la nuit, mais arrêtez-vous au lever du soleil, et, s'il se peut, que ce soit toujours sur quelque éminence, afin de pouvoir découvrir au loin; attendez alors que vos provisions et tout votre bagage soient arrivés; si l'ennemi vient à vous, vous l'attendrez de pied ferme, et vous pourrez le combattre avec avantage.
Ne vous engagez jamais dans ces sortes de lieu où l'on peut aller très aisément, mais d'où l'on ne peut sortir qu'avec beaucoup de peine et une extrême difficulté; si l'ennemi laisse un pareil camp entièrement libre, c'est qu'il cherche à vous leurrer; gardez-vous bien d'avancer, mais trompez-le en pliant bagage. S'il est assez imprudent pour vous suivre, il sera obligé de traverser ce terrain scabreux. Lorsqu'il y aura engagé la moitié de ses troupes, allez à lui, il ne saurait vous échapper, frappez-le avantageusement et vous le vaincrez sans beaucoup de travail.
Une fois que vous serez campé avec tout l'avantage du terrain, attendez tranquillement que l'ennemi fasse les premières démarches et qu'il se mette en mouvement. S'il vient à vous en ordre de bataille, n'allez au-devant de lui que lorsque vous verrez qu'il lui sera difficile de retourner sur ses pas.
Un ennemi bien préparé pour le combat, et contre qui votre attaque a échoué, est dangereux: ne revenez pas à une seconde charge, retirez-vous dans votre camp, si vous le pouvez, et n'en sortez pas que vous ne voyiez clairement que vous le pouvez sans danger. Vous devez vous attendre que l'ennemi fera jouer bien des ressorts pour vous attirer: rendez inutiles tous les artifices qu'il pourrait employer.
Si votre rival vous a prévenu, et qu'il ait pris son camp dans le lieu où vous auriez dû prendre le vôtre, c'est-à-dire dans le lieu le plus avantageux, ne vous amusez point à vouloir l'en déloger en employant les stratagèmes communs; vous travailleriez inutilement. Si la distance entre vous et lui est assez considérable et que les deux armées sont à peu près égales, il ne tombera pas aisément dans les pièges que vous lui tendrez pour l'attirer au combat: ne perdez pas votre temps inutilement, vous réussirez mieux d'un autre côté.
Ayez pour principe que votre ennemi cherche ses avantages avec autant d'empressement que vous pouvez chercher les vôtres: employez toute votre industrie à lui donner le change de ce côté-là; mais surtout ne le prenez pas vous-même. Pour cela, n'oubliez jamais qu'on peut tromper ou être trompé de bien des façons. Je ne vous en rappellerai que six principales, parce qu'elles sont les sources d'où dérivent toutes les autres.
La première consiste dans la marche des troupes
La deuxième, dans leurs différents arrangements.
La troisième, dans leur position dans des lieux bourbeux.
La quatrième, dans leur désordre.
La cinquième, dans leur dépérissement.
Et la sixième, dans leur fuite.
Un général qui recevrait quelque échec, faute de ces connaissances, aurait tort d'accuser le Ciel de son malheur; il doit se l'attribuer tout entier.
Si celui qui est à la tête des armées néglige de s'instruire à fond de tout ce qui a rapport aux troupes qu'il doit mener au combat et à celles qu'il doit combattre; s'il ne connaît pas exactement le terrain où il est actuellement, celui où il doit se rendre, celui où l'on peut se retirer en cas de malheur, celui où l'on peut feindre d'aller sans avoir d'autre envie que celle d'y attirer l'ennemi, et celui où il peut être forcé de s'arrêter, lorsqu'il n'aura pas lieu de s'y attendre; s'il fait mouvoir son armée hors de propos; s'il n'est pas instruit de tous les mouvements de l'armée ennemie et des desseins qu'elle peut avoir dans la conduite qu'elle tient; s'il divise ses troupes sans nécessité, ou sans y être comme forcé par la nature du lieu où il se trouve, ou sans avoir prévu tous les inconvénients qui pourraient en résulter, ou sans une certitude de quelque avantage réel de cette dispersion; s'il souffre que le désordre s'insinue peu à peu dans son armée, ou si, sur des indices incertains, il se persuade trop aisément que le désordre règne dans l'armée ennemie, et qu'il agisse en conséquence; si son armée dépérit insensiblement, sans qu'il se mette en devoir d'y apporter un prompt remède; un tel général ne peut être que la dupe des ennemis, qui lui donneront le change par des fuites étudiées, par des marches feintes, et par un total de conduite dont il ne saurait manquer d'être la victime.
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