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Alexandre Dumas: La San-Felice, Tome 05

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Alexandre Dumas La San-Felice, Tome 05

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–Ce n'est point «Vive le capitaine Michele!» qu'il faut crier; c'est «Vive le chevalier San-Felice!» et cela tout de suite.

La foule, à laquelle il est égal de crier: Vive un tel! ou Mort à un tel! pourvu qu'elle crie, hurla d'une seule voix:

–Vive le chevalier San-Felice!

Seul, le beccaïo s'était tu.

–Allons, allons, lui dit Michele, ce n'est point une raison parce que c'est devant la porte de son jardin que tu as reçu ta pile, pour que tu ne cries pas: «Vive le chevalier!»

–Et s'il ne me plaît pas de le crier, à moi! dit le beccaïo.

–Ce sera absolument comme si tu chantais, attendu qu'il me plaît, à moi, que tu le cries! Ainsi donc, continua Michele, vive le chevalier San-Felice, et tout de suite, ou je t'appareille l'autre oeil!

Et il fit tourner son sabre autour de la tête du beccaïo, qui devint très-pâle, encore plus de terreur que de colère.

–Mon ami, mon bon Michele, dit le chevalier, laisse cet homme tranquille. Tu vois bien qu'il ne me connaît pas.

–Et quand il ne vous connaîtrait pas, serait-ce une raison pour vouloir vous forcer de baiser la tête de ce malheureux qu'il a tué? Il est vrai qu'il vaudrait mieux encore baiser cette tête, qui est celle d'un honnête homme, que la sienne, qui est celle d'un coquin.

–Vous l'entendez! hurla le beccaïo, il appelle des jacobins des honnêtes gens!

–Tais-toi, misérable! Cet homme n'était pas un jacobin, tu le sais bien: c'était Antonio Ferrari, le courrier du roi et l'un des plus résolus serviteurs de Sa Majesté. Et, si vous ne me croyez pas, demandez au chevalier. Chevalier, dites à ces hommes qui ne sont point méchants, mais qui ont le malheur de suivre un méchant, dites-leur ce qu'était le pauvre Antonio.

–Mes amis, dit le chevalier, Antonio Ferrari, qui vient d'être tué, a, en effet, été victime de quelque erreur fatale; car c'était un des serviteurs dévoués de votre bon roi, qui pleure en ce moment sa mort.

La foule écoutait avec stupéfaction.

–Ose dire maintenant que cette tête n'est pas celle de Ferrari et que Ferrari n'était pas un honnête homme! Dis-le! mais dis-le donc, que j'aie l'occasion de te couper l'autre moitié du visage!

Et Michele leva son sabre sur le beccaïo.

–Grâce! dit celui-ci en tombant à genoux: je dirai tout ce que tu voudras.

–Et moi, je ne dirai qu'une chose, c'est que tu es un lâche! Va-t'en, et, quand tu te trouveras sur mon chemin, vingt pas à l'avance, à droite ou à gauche, aie soin de te déranger.

Le beccaïo se retira au milieu des huées de cette foule qui, un instant auparavant, l'applaudissait, et gui se divisa en deux bandes: l'une suivit le beccaïo en l'injuriant; l'autre suivit Michele et le chevalier en criant:

–Vive Michele! Vive le chevalier San-Felice! Michele resta à la porte du jardin pour congédier son escorte; le chevalier rentra chez lui, et, comme nous l'avons dit, appela Luisa.

Nous venons de raconter ce qu'il avait vu des fenêtres de la bibliothèque et ce qui lui était arrivé à la descente du Géant: deux choses suffisantes, à notre avis, pour motiver sa pâleur.

A peine eut-il dit à Luisa le motif qui le ramenait, qu'elle devint à son tour plus pâle que lui; mais elle ne répliqua point une parole, ne fit point une observation; seulement:

–A quelle heure le départ? demanda-t-elle.

–Entre dix heures et minuit, répondit le chevalier.

–Je serai prête, dit-elle; ne vous inquiétez pas de moi, mon ami.

Et elle se retira dans sa chambre, sous prétexte de faire ses préparatifs de départ, en donnant l'ordre que le dîner fût, comme d'habitude, servi à trois heures.

LXXVII

FATALITÉ

Ce n'était point dans sa chambre que s'était retirée Luisa; c'était dans celle de Salvato.

Dans la lutte entre le devoir et l'amour, le premier avait vaincu; mais, ayant sacrifié son amour au devoir, elle se croyait par cela même le droit de donner des larmes à son amour.

Aussi, depuis le jour où Luisa avait dit à son mari: «Je partirai avec vous,» elle avait beaucoup pleuré.

Ne sachant comment faire tenir ses lettres à Salvato, elle ne lui avait point écrit; mais elle avait reçu deux nouvelles lettres de lui.

Cet amour si ardent, cette joie si profonde qu'elle trouvait à chaque ligne dans les lettres du jeune homme lui brisait le coeur, lorsqu'elle songeait surtout à quel amer désappointement Salvato serait en proie quand, plein d'espérance et de sécurité, croyant trouver la fenêtre ouverte et Luisa dans la chambre où elle pleurait si douloureusement à cette heure, il trouverait Luisa absente et la fenêtre fermée.

Et pourtant, elle ne se repentait point de ce qu'elle avait promis ou plutôt offert: elle eût eu le choix, maintenant que l'heure du départ était arrivée, qu'elle eût agi comme elle avait fait.

Elle appela Giovannina.

Celle-ci accourut. Elle avait vu Michele à la cuisine et se doutait qu'il arrivait quelque chose d'extraordinaire.

–Nina, lui dit sa maîtresse, nous quittons Naples cette nuit. C'est vous que je charge du soin de réunir et de mettre dans des caisses les objets de mon usage habituel. Vous les connaissez aussi bien que moi, n'est-ce pas?

–Sans doute, je les connais, répondit la femme de chambre, et je ferai ce que madame m'ordonne; mais j'ai besoin que madame ait la bonté de m'éclairer sur un point.

–Lequel? Dites Nina, répliqua la San-Felice, un peu étonnée de la fermeté progressive avec laquelle la femme de chambre avait répondu à l'ordre qu'elle lui donnait.

–Mais sur ces paroles: «Nous quittons Naples;» madame a dit cela, je crois?

–Sans doute, je l'ai dit.

–Est-ce que madame comptait m'emmener avec elle?

–Si vous eussiez voulu, oui; mais, pour peu que la chose vous déplaise…

Nina vit qu'elle avait été trop loin.

–Si je ne dépendais que de moi, ce serait avec le plus grand plaisir que je suivrais madame jusqu'au bout du monde, dit-elle; mais, par malheur, j'ai une famille.

–Ce n'est jamais un malheur d'avoir une famille mon enfant, dit Luisa avec une suprême douceur.

–Excusez-moi, madame, si je dis un peu trop franchement…

–Vous n'avez pas besoin d'excuse. Vous avez une famille, disiez-vous, et cette famille, alliez-vous dire, ne permettra point que vous quittiez Naples.

–Non, madame, j'en suis sûre, répondit vivement Giovannina.

–Mais cette famille permettrait-elle, continua Luisa, qui venait de songer qu'il serait moins cruel à Salvato de trouver, elle absente, quelqu'un à qui parler d'elle, qu'une porte fermée et une maison muette, – cette famille permettrait-elle que vous restassiez ici comme une personne de confiance chargée de veiller sur la maison?

–Oh! pour cela, oui, s'écria Nina avec une vivacité qui, si elle eût eu le moindre soupçon de ce qui se passait dans le coeur de la jeune fille, eût ouvert les yeux de Luisa.

Puis, se modérant:

–Car ce sera toujours, ajouta-t-elle, un honneur et un plaisir pour moi d'être chargée des intérêts de madame.

–Eh bien, alors, Nina, quoique je sois habituée à votre service, dit la jeune femme, vous resterez. Peut-être notre absence ne sera pas longue. Pendant cette absence, à ceux qui viendront pour me voir-retenez bien mes paroles, Nina, – vous direz que le devoir de mon mari était de suivre le prince, et que mon devoir, à moi, était de suivre mon mari; vous direz-car vous appréciez mieux que personne, vous qui ne voulez pas quitter Naples, ce que je souffre, moi, en le quittant-vous direz, que c'est les yeux baignés de larmes que je fais mes premiers, et qu'à l'heure de mon départ, je ferai mes derniers adieux à chacune des chambres de cette maison et à chacun des objets renfermés dans ces chambres. Et, quand vous parlerez de ces larmes, vous saurez que ce ne sont point de vaines paroles, car vous les aurez vues couler.

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