«Et ceux-là pourtant sont les mieux trempés, les plus énergiques parmi les peuples, les plus heureux dans le repos, les plus violents dans l’action. Regardez ceux des zones torrides: pour ceux-là le soleil est généreux en effet; les plantes sont gigantesques, la terre est prodigue de fruits, de parfums et de spectacles. Il y a vanité de luxe dans la couleur et dans la forme. Les oiseaux et les insectes étincellent de pierreries, les fleurs exhalent des odeurs enivrantes. Les arbres eux-mêmes recèlent d’exquises senteurs dans leurs tissus ligneux. Les nuits sont claires comme nos jours d’automne, les étoiles se montrent quatre fois grandes comme ici. Tout est beau, tout est riche. L’homme, encore grossier et naïf, ignore une partie des maux que nous avons inventés. Croyez-vous qu’il soit heureux? Non. Des troupes d’animaux hideux et féroces lui font la guerre. Le tigre rugit autour de sa demeure; le serpent, ce monstre froid et gluant dont l’homme a plus d’horreur que d’aucun autre ennemi, se glisse jusqu’au berceau de son enfant. Puis vient l’orage, cette grande convulsion d’une nature robuste qui bondit comme un taureau en fureur, qui se déchire elle-même comme un lion blessé. Il faut que l’homme fuie ou périsse: le vent, la foudre, les torrents débordés bouleversent et emportent sa cabane, son champ et ses troupeaux: chaque soir il ignore s’il aura une patrie le lendemain; elle était trop belle, cette patrie: Dieu ne veut pas la lui laisser. Chaque année il lui en faudra chercher une nouvelle. Le spectacle d’un homme heureux n’est pas agréable au Seigneur. O mon Dieu! tu souffres peut-être aussi, tu es peut-être ennuyé dans ta gloire, puisque tu nous fais tant de mal!
«Eh bien! ces enfants du soleil que dans nos rêves de poëtes nous envions comme les privilégiés de la terre, sans doute ils se demandent parfois s’il existe une contrée chérie du ciel, que ne sillonnent pas les laves ardentes, que ne balaient pas les vents destructeurs; une contrée qui s’éveille au matin, unie, calme et tiède comme la veille. Ils se demandent si Dieu, dans sa colère, a mis partout des panthères affamées de sang et des reptiles hideux. Peut-être ces hommes simples rêvent-ils leur paradis terrestre sous nos latitudes tempérées, peut-être dans leurs songes voient-ils la brume et le froid descendre sur leurs fronts bronzés et assombrir leur atmosphère de feu. Nous, quand nous rêvons, nous voyons le soleil rouge et chaud, la plaine étincelante, la mer embrasée et le sable brûlant sous nos pieds. Nous appelons le soleil méridional sur nos épaules glacées, et les peuples du Midi recevraient à genoux les gouttes de notre pluie sur leurs poitrines ardentes. Ainsi partout l’homme souffre et murmure; créature délicate et nerveuse, il s’est fait en vain le roi de la création, il en est la plus infortunée victime. Il est le seul animal chez qui la puissance intellectuelle soit dans un rapport aussi disproportionné avec la puissance physique. Chez les êtres qu’il appelle animaux grossiers, la force matérielle domine, l’instinct n’est que le ressort conservateur de l’existence animale. Chez l’homme, l’instinct, développé outre mesure, brûle et torture une frêle et chétive organisation. Il a l’impuissance du mollusque avec les appétits du tigre; la misère et la nécessité l’emprisonnent dans une écaille de tortue; l’ambition, l’inquiétude déploient leurs ailes d’aigle dans son cerveau. Il voudrait avoir les facultés réunies de toutes les races, mais il n’a que la faculté de vouloir en vain. Il s’entoure de dépouilles: les entrailles de la terre lui abandonnent l’or et le marbre; les fleurs se laissent broyer, exprimer en parfums pour son usage; les oiseaux de l’air laissent tomber pour le parer les plus belles plumes de leurs ailes, le plongeon et l’eider livrent leur cuirasse de duvet pour réchauffer ses membres indolents et froids; la laine, la fourrure, l’écaille, la soie, les entrailles de celui-là, les dents de celui-ci, la peau de cet autre, le sang et la vie de tous appartiennent à l’homme. La vie de l’homme ne s’alimente que par la destruction, et pourtant quelle douloureuse et courte durée!
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