Жорж Санд - Le secrétaire intime

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George Sand

Le secrétaire intime

NOTICE

Le Secrétaire intime est une fantaisie sans rime ni raison qui m'est venue en 1833, après avoir relu les Contes fantastiques d'Hoffman . Cela manque d'ensemble et atteste une grande inexpérience littéraire. La fable est-elle amusante? L'imagination, à défaut de la vraisemblance, y trouve-t-elle son compte? Mon point de vue a tellement changé, que je ne suis plus un juge impartial des essais de ma jeunesse.

Nohant, 13 octobre 1853.

GEORGE SAND.

I

Par une belle journée, cheminait sur la route de Lyon à Avignon un jeune homme de bonne mine. Il se nommait Louis de Saint-Julien, et portait à bon droit le titre de comte, car il était d'une des meilleures familles de sa province. Néanmoins il allait à pied avec un petit sac sur le dos; sa toilette était plus que modeste, et ses pieds enflaient d'heure en heure sous ses guêtres de cuir poudreux.

Ce jeune homme, élevé à la campagne par un bon et honnête curé, avait beaucoup de droiture, passablement d'esprit, et une instruction assez recommandable pour espérer l'emploi de précepteur, de sous-bibliothécaire ou de secrétaire intime. Il avait des qualités et même des vertus. Il avait aussi des travers et même des défauts; mais il n'avait point de vices. Il était bon et romanesque, mais orgueilleux et craintif, c'est-à-dire susceptible et méfiant, comme tous les gens sans expérience de la vie et sans connaissance du monde.

Si ce rapide exposé de son caractère ne suffit point pour exciter l'intérêt du lecteur, peut-être la lectrice lui accordera-t-elle un peu de bienveillance en apprenant que M. Louis de Saint-Julien avait de très-beaux yeux, la main blanche, les dents blanches et les cheveux noirs.

Pourquoi ce jeune homme voyageait-il à pied? c'est qu'apparemment il n'avait pas le moyen d'aller en voiture. D'où venait-il? c'est ce que nous vous dirons en temps et lieu. Où allait-il? il ne le savait pas lui-même. On peut résumer cependant son passé et son avenir en peu de mots: il venait du triste pays de la réalité, et il tâchait de s'élancer à tout hasard vers le joyeux pays des chimères.

Depuis huit jours qu'il était en route, il avait héroïquement supporté la fatigue, le soleil, la poussière, les mauvais gîtes, et l'effroi insurmontable qui chemine toujours triste et silencieux sur les talons d'un homme sans argent. Mais une écorchure à la cheville le força de s'asseoir au bord d'une haie, près d'une métairie où l'on avait récemment établi un relais de poste aux chevaux.

Il y était depuis un instant lorsqu'une très-belle et leste berline de voyage vint à passer devant lui; elle était suivie d'une calèche et d'une chaise de poste qui paraissaient contenir la suite ou la famille de quelque personnage considérable.

L'idée vint à Julien de monter derrière une de ces voitures; mais à peine y fut-il installé, que le postillon, jetant de côté un regard exercé à ce genre d'observation, découvrit la silhouette du délinquant, qui courait avec l'ombre de la voiture sur le sable blanc du chemin. Aussitôt il s'arrêta et lui commanda impérieusement de descendre. Saint-Julien descendit et s'adressa aux personnes qui étaient dans la chaise, s'imaginant dans sa confiance honnête qu'une telle demande ne pouvait être repoussée que par un postillon grossier; mais les deux personnes qui occupaient la voiture étaient une lectrice et un majordome, gens essentiellement hautains et insolents par état. Ils refusèrent avec impertinence. – Vous n'êtes que des laquais mal appris! leur cria Saint-Julien en colère, et l'on voit bien que c'est vous qui êtes faits pour monter derrière la voiture des gens comme il faut.

Saint-Julien parlait haut et fort; le chemin était montueux, et les trois voitures marchaient lentement et sans bruit sans un sable mat et chaud. La voix de Julien et celle du postillon, qui l'insultait pour complaire aux voyageurs de la chaise, furent entendues de la personne qui occupait la berline. Elle se pencha hors de la portière pour regarder ce qui se passait derrière elle, et Saint-Julien vit avec une émotion enfantine le plus beau buste de femme qu'il eût jamais imaginé; mais il n'eut pas le temps de l'admirer; car dès qu'elle jeta les yeux sur lui, il baissa timidement les siens. Alors cette femme si belle, s'adressant au postillon et à ses gens d'une grosse voix de contralto et avec un accent étranger assez ronflant, les gourmanda vertement et interpella le jeune voyageur avec familiarité: – Viens çà, mon enfant, lui dit-elle, monte sur le siège de ma voiture; accorde seulement un coin grand comme la main à ma levrette blanche qui est sur le marchepied. Va, dépêche-toi; garde tes compliments et tes révérences pour un autre jour.

Saint-Julien ne se le fit pas dire deux fois, et, tout haletant de fatigue et d'émotion, il grimpa sur le siège et prit la levrette sur ses genoux. La voiture partit au galop en arrivant au sommet de la côte.

Au relais suivant, qui fut atteint avec une grande rapidité, Saint-Julien descendit, dans la crainte d'abuser de la permission qu'on lui avait donnée; et comme il se mêla aux postillons, aux chevaux, aux poules et aux mendiants qui encombrent toujours un relais de poste, il put regarder la belle voyageuse à son aise. Elle ne faisait aucune attention à lui et tançait tous ses laquais l'un après l'autre d'un ton demi-colère, demi-jovial. C'était une personne étrange, et comme Julien n'en avait jamais vu. Elle était grande, élancée; ses épaules étaient larges; son cou blanc et dégagé avait des attitudes à la fois cavalières et majestueuses. Elle paraissait bien avoir trente ans, mais elle n'en avait peut-être que vingt-cinq; c'était une femme un peu fatiguée; mais sa pâleur, ses joues minces et le demi-cercle bleuâtre creusé sous ses grands yeux noirs donnaient une expression de volonté pensive, d'intelligence saisissante et de fermeté mélancolique à toute cette tête, dont la beauté linéaire pouvait d'ailleurs supporter la comparaison avec les camées antiques les plus parfaits.

La richesse et la coquetterie de son costume de voyage n'étonnèrent pas moins Julien que ses manières. Elle paraissait très-vive et très-bonne, et jetait de l'argent aux pauvres à pleines mains. Il y avait dans sa voiture deux autres personnes, que Saint-Julien ne songea pas à regarder, tant il était absorbé par celle-là.

Au moment de repartir, elle se pencha de nouveau; et, cherchant des yeux Saint-Julien, elle le vit qui s'approchait, le chapeau à la main, pour lui faire ses remerciements. Il n'eût pas osé renouveler sa demande; mais elle le prévint. «Eh bien! lui dit-elle, est-ce que tu restes ici?

– Madame, répondit Julien, je me rends à Avignon; mais je craindrais…

– Eh bien! eh bien! dit-elle avec sa voix mâle et brève, je t'y conduirai avant la nuit, moi. Allons, remonte.»

Ils arrivèrent en effet avant la nuit. Saint-Julien avait eu bien envie de se retourner cent fois durant le voyage et de jeter un coup d'œil furtif dans la voiture, où il eût pu plonger en faisant un mouvement; mais il ne l'osa pas, car il sentit que sa curiosité aurait le caractère de la grossièreté et de l'ingratitude. Seulement il était descendu à tous les relais pour regarder la belle voyageuse à la dérobée, pour examiner ses actions, écouter ses paroles, scruter sa conduite, en affectant l'air indifférent et distrait. Il avait trouvé en elle ce continuel mélange du caractère impérial et du caractère bon enfant, qui ne le menait à aucune découverte. Il n'eût pas osé s'adresser aux personnes de sa suite pour exprimer la curiosité imprudente qui chauffait dans sa tête. Il était dans une très-grande anxiété en s'adressant les questions suivantes: – Est-ce une reine ou une courtisane? – Comment le savoir? – Que m'importe? Pourquoi suis-je si intrigué par une femme que j'ai vue aujourd'hui et que je ne verrai plus demain?

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