Виктор Мари Гюго - Les contemplations. Aujourd'hui, 1843-1856

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Villequier, Caudebec, et tous ces frais vallons,
Ne vous entendront plus vous écrier: «Allons,
Le vent est bon, la Seine est belle!»
Comme ces lieux charmants vont être pleins d'ennui!
Les hardis goëlands ne diront plus: C'est lui!
Les fleurs ne diront plus: C'est elle!

Dieu, qui ferme la vie et rouvre l'idéal,
Fait flotter à jamais votre lit nuptial
Sous le grand dôme aux clairs pilastres;
En vous prenant la terre, il vous prit les douleurs;
Ce père souriant, pour les champs pleins de fleurs,
Vous donne les cieux remplis d'astres!

Allez des esprits purs accroître la tribu.
De cette coupe amère où vous n'avez pas bu,
Hélas! nous viderons le reste.
Pendant que nous pleurons, de sanglots abreuvés,
Vous, heureux, enivrés de vous-mêmes, vivez
Dans l'éblouissement céleste!

Vivez! aimez! ayez les bonheurs infinis.
Oh! les anges pensifs, bénissant et bénis,
Savent seuls, sous les sacrés voiles,
Ce qu'il entre d'extase, et d'ombre, et de ciel bleu,
Dans l'éternel baiser de deux âmes que Dieu
Tout à coup change en deux étoiles!

Jersey, 4 septembre 1852.

LIVRE CINQUIÈME

EN MARCHE

I

À AUG. V

Et toi, son frère, sois le frère de mes fils.
Coeur fier, qui du destin relèves les défis,
Suis à côté de moi la voie inexorable.
Que ta mère au front gris soit ma soeur vénérable!
Ton frère dort couché dans le sépulcre noir;
Nous, dans la nuit du sort, dans l'ombre du devoir,
Marchons à la clarté qui sort de cette pierre.
Qu'il dorme, voyant l'aube à travers sa paupière!
Un jour, quand on lira nos temps mystérieux,
Les songeurs attendris promèneront leurs yeux
De toi, le dévouement, à lui, le sacrifice.
Nous habitons du sphinx le lugubre édifice;
Nous sommes, coeurs liés au morne piédestal,
Tous la fatale énigme et tous le mot fatal.
Ah! famille! ah! douleur! ô soeur! ô mère! ô veuve!
O sombres lieux, qu'emplit le murmure du fleuve!
Chaste tombe jumelle au pied du coteau vert!
Poëte, quand mon sort s'est brusquement ouvert,
Tu n'as pas reculé devant les noires portes,
Et, sans pâlir, avec le flambeau que tu portes,
Tes chants, ton avenir que l'absence interrompt,
Et le frémissement lumineux de ton front,
Trouvant la chute belle et le malheur propice,
Calme, tu t'es jeté dans le grand précipice!
Hélas! c'est par les deuils que nous nous enchaînons.
O frères, que vos noms soient mêlés à nos noms!
Dieu vous fait des rayons de toutes nos ténèbres.
Car vous êtes entrés sous nos voûtes funèbres;
Car vous avez été tous deux vaillants et doux;
Car vous avez tous deux, vous rapprochant de nous
À l'heure où vers nos fronts roulait le gouffre d'ombre,
Accepté notre sort dans ce qu'il a de sombre,
Et suivi, dédaignant l'abîme et le péril,
Lui, la fille au tombeau, toi, le père à l'exil!

Jersey, Marine-Terrace, 4 septembre 1852.

II

AU FILS D'UN POËTE

Enfant, laisse aux mers inquiètes
Le naufragé, tribun ou roi;
Laisse s'en aller les poëtes!
La poésie est près de toi.

Elle t'échauffe, elle t'inspire,
O cher enfant, doux alcyon,
Car ta mère en est le sourire,
Et ton père en est le rayon.

Les yeux en pleurs, tu me demandes
Où je vais, et pourquoi je pars.
Je n'en sais rien; les mers sont grandes;
L'exil s'ouvre de toutes parts.

Ce que Dieu nous donne, il nous l'ôte.
Adieu, patrie! adieu, Sion!
Le proscrit n'est pas même un hôte,
Enfant, c'est une vision.

Il entre, il s'assied, puis se lève,
Reprend son bâton et s'en va.
Sa vie erre de grève en grève
Sous le souffle de Jéhovah.

Il fuit sur les vagues profondes,
Sans repos, toujours en avant.
Qu'importe ce qu'en font les ondes!
Qu'importe ce qu'en fait le vent

Garde, enfant, dans ta jeune tête
Ce souvenir mystérieux,
Tu l'as vu dans une tempête
Passer comme l'éclair des deux.

Son âme aux chocs habituée
Traversait l'orage et le bruit.
D'où sortait-il? De la nuée.
Où s'enfonçait-il? Dans la nuit.

Paris, juillet 1838.

III

ÉCRIT EN 1846

«… Je vous ai vu enfant, monsieur, chez votre
respectable mère, et nous sommes même un peu
parents, je crois. J'ai applaudi à vos premières
odes, la Vendée, Louis XVII … Dès 1827, dans votre
ode dite À la colonne , vous désertiez les saines doctrines,
vous abjuriez la légitimité; la faction libérale
battait des mains à votre apostasie. J'en gémissais…
Vous êtes aujourd'hui, monsieur, en démagogie
pure, en plein jacobinisme. Votre discours d'anarchiste
sur les affaires de Gallicie est plus digne du
tréteau d'une Convention que de la tribune d'une
chambre des pairs. Vous en êtes à la carmagnole…
Vous vous perdez, je vous le dis. Quelle est donc
votre ambition? Depuis ces beaux jours de votre
adolescence monarchique, qu'avez-vous fait? où
allez-vous?..»

(Le marquis du C. d'E… - Lettre à Victor Hugo , Paris, 1846.)
I

Marquis, je m'en souviens, vous veniez chez ma mère.
Vous me faisiez parfois réciter ma grammaire;
Vous m'apportiez toujours quelque bonbon exquis;
Et nous étions cousins quand on était marquis.
Vous étiez vieux, j'étais enfant; contre vos jambes
Vous me preniez, et puis, entre deux dithyrambes
En l'honneur de Coblentz et des rois, vous contiez
Quelque histoire de loups, de peuples châtiés,
D'ogres, de jacobins, authentique et formelle,
Que j'avalais avec vos bonbons, pêle-mêle,
Et que je dévorais de fort bon appétit
Quand j'étais royaliste et quand j'étais petit.

J'étais un doux enfant, le grain d'un honnête homme.
Quand, plein d'illusions, crédule, simple, en somme,
Droit et pur, mes deux yeux sur l'idéal ouverts,
Je bégayais, songeur naïf, mes premiers vers,
Marquis, vous leur trouviez un arrière-goût fauve,
Les Grâces vous ayant nourri dans leur alcôve;
Mais vous disiez: «Pas mal! bien! c'est quelqu'un qui naît!»
Et, souvenir sacré! ma mère rayonnait.

Je me rappelle encor de quel accent ma mère
Vous disait: «Bonjour.» Aube! avril! joie éphémère!
Où donc est ce sourire? où donc est cette voix?
Vous fuyez donc ainsi que les feuilles des bois,
O baisers d'une mère! aujourd'hui, mon front sombre,
Le même front, est là, pensif, avec de l'ombre,
Et les baisers de moins et les rides de plus!

Vous aviez de l'esprit, marquis. Flux et reflux,
Heur, malheur, vous avaient laissé l'âme assez nette;
Riche, pauvre, écuyer de Marie-Antoinette,
Émigré, vous aviez, dans ce temps incertain,
Bien supporté le chaud et le froid du destin.
Vous haïssiez Rousseau, mais vous aimiez Voltaire.
Pigault-Lebrun allait à votre goût austère,
Mais Diderot était digne du pilori.

Vous détestiez, c'est vrai, madame Dubarry,
Tout en divinisant Gabrielle d'Estrée.
Pas plus que Sévigné, la marquise lettrée,
Ne s'étonnait de voir, douce femme rêvant,
Blêmir au clair de lune et trembler dans le vent,
Aux arbres du chemin, parmi les feuilles jaunes,
Les paysans pendus par ce bon duc de Chaulnes,
Vous ne preniez souci des manants qu'on abat
Par la force, et du pauvre écrasé sous le bât.
Avant quatre-vingt-neuf, galant incendiaire,
Vous portiez votre épée en quart de civadière;
La poudre blanchissait votre dos de velours;
Vous marchiez sur le peuple à pas légers-et lourds.

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