« Oh, » ajouta Joe Andrews. « Il y a eu aussi cette fois où j’ai pris sur le fait un père qui agressait sexuellement sa fillette de huit ans. Ça se passait à quelques mètres d’un chemin de pêche et j’ai dû intervenir. Et quel genre de remerciement j’en reçois ? La fille qui me hurle de laisser son père tranquille et un avertissement de la part de la police locale et d’État me notifiant d’y aller un peu plus doucement la prochaine fois. Alors oui… ça nous arrive parfois d’être égoïste concernant notre autorité. »
Le silence envahit la forêt, seulement interrompu par l’un des policiers locaux qui laissa échapper un rire dédaigneux en disant : « Oui. Autorité. Bien sûr. »
Les deux garde-forestiers regardèrent l’homme avec une profonde haine dans les yeux. Andrews fit un pas en avant. On aurait dit qu’il allait exploser de rage. « Va te faire foutre, » dit-il simplement.
« Je vous ai dit de cesser ces idioties, » dit l’officier Smith. « Je dois encore vous faire une seule fois la remarque et je vous expulse tous d’ici. Vous m’avez bien compris ? »
Apparemment, ils avaient bien compris. Le silence envahit de nouveau la forêt. Bryers passa derrière le ruban qui délimitait la scène de crime et s’approcha de Mackenzie. Quand les hommes furent tous retournés à leurs occupations, il se pencha vers elle. Elle pouvait sentir le regard de Charlie Holt fixé sur elle et ça lui donna envie de le frapper.
« Ça pourrait mal tourner, » dit Bryers à voix basse. « Faisons en sorte de sortir d’ici le plus rapidement possible. Qu’est-ce que tu en penses ? »
Elle se mit au travail et passa l’endroit au peigne fin tout en prenant mentalement des notes. Bryers était ressorti de la scène de crime. Il était appuyé contre un arbre et toussait dans son bras. Mais elle fit de son mieux pour que ça ne la distraie pas. Elle garda les yeux rivés au sol, observant attentivement le feuillage, la terre et les arbres. La chose qui n’avait pas vraiment de sens à ses yeux, c’était comment un corps en si mauvais état avait été découvert ici. Il était difficile de savoir quand le meurtre avait été commis ou quand le cadavre avait été déposé car il n’y avait aucun signe au sol trahissant un acte brutal ou violent.
Elle concentra son attention sur les emplacements où se trouvaient les pancartes indiquant les endroits où les différentes parties du corps avaient été retrouvées. Elles étaient trop éloignées l’une de l’autre pour que ce soit accidentel. Celui qui a déposé ce corps mutilé en plaçant les différentes parties si loin l’une de l’autre, avait l’intention de le faire de cette manière.
« Officier Smith, savez-vous s’il y avait des marques de morsures d’animaux sauvages présentes sur le corps ? » demanda-t-elle.
« S’il y en avait, elles étaient tellement minuscules qu’un examen à l’oeil nu n’a pas permis de les remarquer. Bien entendu, nous en saurons davantage dès que l’autopsie sera terminée. »
« Et aucun membre de votre équipe ou de la police locale n’a bougé le corps ou les membres sectionnés ? »
« Non. »
« Même chose de mon côté, » dit Clements. « Et vous, les garde-forestiers ? »
« Non, » dit Holt, en ricanant sur un ton méchant. On aurait dit qu’il allait maintenant se vexer pour un tout ou pour un rien.
« Puis-je vous demander en quoi ça pourrait aider à trouver le responsable de ce carnage ? » lui demanda Smith.
« Et bien, si l’assassin avait agi ici, il y aurait du sang partout, » expliqua Mackenzie. « Même si ça s’était passé il y a longtemps, il y aurait au moins des traces aux alentours. Et je n’en vois aucune. L’autre possibilité est qu’il ait déposé le corps ici. Mais si c’est le cas, pourquoi une jambe tranchée se retrouverait-elle aussi éloignée du reste du corps ? »
« Je ne vous suis pas, » dit Smith. Derrière lui, elle vit que Clements écoutait également d’une oreille attentive, tout en essayant que ça ne se voie pas.
« Ça me mène à penser que le tueur a effectivement déposé le corps ici mais qu’il a intentionnellement séparé les différents morceaux du corps. »
« Pourquoi ? » demanda Clements, incapable de feindre plus longtemps qu’il n’écoutait pas.
« Il pourrait y avoir plusieurs raisons, » dit-elle. « Ça pourrait être pour une raison aussi morbide que le fait de s’amuser avec le corps, de l’éparpiller comme s’il ne représentait rien de plus que des jouets pour s’amuser. Ou l’envie d’avoir toute notre attention. Ou il pourrait y avoir une sorte de raison calculée – la distance, le fait que ce soit une jambe, etc. »
« Je vois, » dit Smith. « Et bien, certains de mes hommes ont déjà rédigé un rapport reprenant la distance entre le corps et la jambe et toutes les autres mesures qui pourraient vous être utiles. »
Mackenzie jeta de nouveau un oeil autour d’elle – en direction du groupe d’hommes rassemblés et de l’apparemment paisible forêt – et elle fit une pause. Il n’y avait pas de raison évidente au choix de cet emplacement. Ce qui lui faisait penser que cet endroit était un hasard. Mais le fait d’être si éloigné des sentiers battus lui indiquait également autre chose. Ça voulait dire que l’assassin connaissait assez bien cette forêt – et même peut-être le parc en entier.
Elle se mit à marcher autour de la scène de crime, cherchant attentivement toute trace de sang séché. Mais il n’y avait rien. Plus le temps passait, plus elle était convaincue que sa théorie était la bonne.
« Garde-forestiers, » dit-elle. « Il y a-t-il un moyen d’obtenir le nom des gens qui fréquentent ce parc ? Je pense surtout à des personnes qui viennent souvent ici et qui connaissent très bien la région. »
« Pas vraiment, » dit Joe Andrews. « Le mieux qu’on puisse faire, c’est vous fournir une liste de donateurs. »
« Ce n’est pas nécessaire, » dit-elle.
« Vous avez une théorie à mettre à l’épreuve ? » demanda Smith.
« Le meurtre en soi a eu lieu ailleurs et le corps a été déposé ici, » dit-elle, en se parlant à moitié à elle-même. « Mais pourquoi ici ? Nous sommes à environ deux kilomètres du sentier principal et il n’y a rien de spécial à cet endroit. Ce qui me fait penser que le responsable de tout ça connait très bien le parc. »
Pendant qu’elle parlait, quelques-uns hochèrent de la tête mais elle sentit qu’ils doutaient d’elle ou qu’ils s’en fichaient royalement.
Mackenzie se retourna vers Bryers.
« Pour toi, c’est bon ? » demanda-t-elle.
Il hocha de la tête.
« Merci, messieurs. »
Ils la regardèrent tous en silence. Clements avait l’air d’essayer de la jauger.
« OK, on y va alors, » dit finalement Clements. « Je vous ramène jusqu’à votre voiture. »
« Non, pas besoin, » dit Mackenzie, sur un ton légèrement rude. « Je crois que je préfère marcher. »
Mackenzie et Bryers prirent congé et se dirigèrent à travers bois en direction du sentier par lequel Clements les avait amenés.
Alors qu’ils s’enfonçaient dans la forêt, en laissant derrière eux la police d’État, les garde-forestiers, Clements et ses hommes, Mackenzie ne put s’empêcher d’apprécier la grandeur de la forêt. Il y avait quelque chose d’inquiétant dans le fait de penser aux possibilités infinies qu’elle offrait. Elle pensa à ce que le garde-forestier avait raconté au sujet des innombrables crimes qui avaient lieu dans ces bois et un frisson glacé lui traversa le dos.
Pour quelqu’un qui prenait son pied en charcutant des gens à la manière de la personne qui avait été retrouvée dans ce triangle dans les bois et qui connaissait bien cette forêt, il n’y avait littéralement aucune limite à la menace que cette personne pourrait représenter.
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