Mais il avait été agréable de bavarder avec un bel homme et c’était un soulagement d’avoir enfin des voisins. Des voisins plutôt sympathiques.
*
Quand Riley et sa fille se mirent à table pour dîner, April tripotait encore son smartphone.
— S’il te plait, arrête avec les textos. On mange.
— Une seconde, Maman, dit April sans lever le nez.
Le comportement de April, si typique d’une adolescente, n’irritait pas vraiment Riley. Il y avait des bons côtés. Cela voulait dire que April se faisait des amis. D’ailleurs, elle se débrouillait bien à l’école. Elle avait de meilleures fréquentations qu’avant. April devait être en train de communiquer avec un garçon qui lui plaisait. Elle n’en avait pas encore parlé à Riley.
April lâcha son téléphone quand Gabriela servit un plat de chiles rellenos. L’adolescente étouffa un rire malicieux.
— C’est assez picante, Gabriela ? demanda-t-elle.
— Sí, répondit Gabriela en souriant.
C’était une blague qu’elles seules pouvaient comprendre. Ryan détestait les plats trop pimentés. En fait, il ne pouvait tout simplement pas manger de piment. April et Riley, elles, adoraient ça. Gabriela avait reçu l’instruction de ne plus se retenir – du moins, pas autant qu’avant. Riley doutait qu’elle aurait pu supporter une authentique recette guatémaltèque.
En s’asseyant à son tour, Gabriela se tourna vers Riley.
— Le jeune homme est guapo, no ?
Riley s’empourpra.
— Beau ? Je n’ai pas remarqué, Gabriela.
La bonne éclata de rire. Elle remplit son assiette et se mit à manger en chantonnant un petit air. Ce devait être une chanson d’amour. April dévisageait sa mère.
— Quel jeune homme, Maman ?
— Oh, notre voisin est passé…
April l’interrompit avec un enthousiasme non dissimulé.
— Oh là là ! Le papa de Crystal ? C’était lui, hein ? Il est trop beau !
— Et je crois qu’il est célibataire, ajouta Gabriela.
— Oh, arrêtez, vous deux, dit Riley. Laissez-moi vivre. Je n’ai pas besoin que vous me rencardiez avec le voisin.
Elles piochèrent dans le plat de poivron farcis. Le dîner était presque terminé quand Riley sentit son téléphone vibrer dans sa poche.
Merde, pensa-t-elle. Je n’aurais pas dû l’apporter à table.
Elle pourrait très bien ne pas répondre. Depuis qu’elle était rentrée, Brent lui avait envoyé deux messages supplémentaires. Elle s’était répété qu’elle rappellerait plus tard, mais elle ne pouvait plus repousser l’échéance. Elle sortit de table en s’excusant et décrocha.
— Riley, je suis désolé de vous déranger, dit son patron, mais j’ai vraiment besoin de votre aide.
Riley fut surpris d’entendre Meredith l’appeler par son prénom. Cela n’arrivait quasiment jamais. Ils étaient proches, mais toujours professionnels.
— Qu’est-ce qui se passe ? demanda Riley.
Meredith ne répondit pas tout de suite. Pourquoi hésitait-il ? Le ventre de Riley fit un nœud. Le moment qu’elle redoutait était arrivé.
— Riley, j’aimerais vous demander une faveur, à titre personnel, dit-il d’une voix moins ferme que d’habitude. On m’a confié une affaire de meurtre à Phoenix.
Riley s’étonna :
— Un seul meurtre ? Pourquoi ça concerne le FBI ?
— J’ai un ami qui travaille dans le bureau de Phoenix. Garrett Holbrook. Nous avons fait notre formation ensemble. C’est sa sœur Nancy qui a été tuée.
— Je suis désolée, dit Riley. Mais la police…
Une note inhabituelle de supplique fit traîner la voix de Meredith :
— Garrett a vraiment besoin de notre aide. C’était une prostituée. Elle a disparu et ils ont retrouvé son corps dans un lac. Il veut qu’on y travaille comme si c’était l’œuvre d’un tueur en série.
C’était une requête bizarre. Les prostituées disparaissaient souvent, sans pour autant avoir été assassinées. Parfois, elles décidaient de changer d’air, tout simplement.
— A-t-il une raison de penser que c’est le cas ?
— Je ne sais pas, répondit Meredith. Peut-être qu’il essaye de s’en convaincre pour nous impliquer. Mais, après tout, c’est vrai : les prostituées sont souvent la cible des tueurs en série.
En effet, leur choix de vie les exposait au danger. Elles se rendaient visibles et accessibles. Elles acceptaient de rester seules avec des inconnues et elles étaient souvent accros à la drogue.
Meredith poursuivit :
— Il m’a appelé personnellement. Je lui ai promis que j’enverrais mes meilleurs agents. Et, bien sûr, vous en faites partie.
Meredith ne lui rendait pas les choses faciles.
— S’il vous plait, essayez de comprendre, Monsieur, dit-elle. Je ne peux pas prendre d’affaire pour le moment.
Ce n’était pas tout à fait honnête. Je ne peux pas ou je ne veux pas ? se demanda-t-elle. Après l’expérience traumatisante qu’elle avait vécue aux mains d’un tueur en série, tout le monde avait insisté pour qu’elle prenne un congé. Elle avait essayé, mais un besoin désespéré de travailler l’avait ramenée sur le terrain. Elle commençait à se demander pourquoi. Elle avait été imprudente. Elle s’était mise en danger plus d’une fois. Elle avait eu du mal à mettre de l’ordre dans sa vie. Quand elle avait enfin tué Peterson, son tourmenteur, elle avait cru laisser tout cela derrière elle, mais il continuait de la hanter, tout comme la manière dont s’était terminée sa dernière affaire.
Au bout d’un moment, elle ajouta :
— J’ai besoin de rester loin du terrain encore un peu. Je suis toujours en congé et j’essaye de redémarrer.
Un long silence suivit ses mots. Meredith n’allait pas insister et il n’allait pas affirmer son autorité, mais il n’était pas satisfait non plus. Il ne relâcherait pas la pression.
Elle l’entendit pousser un soupir au bout du fil.
— Garrett ne voyait plus Nancy depuis des années. Ce qui est arrivé le bouffe de l’intérieur. Il va retenir la leçon. On ne doit pas laisser ceux qu’on aime s’éloigner.
Riley faillit lâcher le téléphone. Meredith venait de toucher une corde sensible. Riley avait perdu le contact avec sa grande sœur des années plus tôt. Elles ne se voyaient plus. En fait, Riley n’avait plus pensé à Wendy depuis longtemps. Elle ne savait même pas ce qu’elle faisait dans la vie.
Meredith enchaîna :
— Promettez-moi que vous y penserez.
— Je vous le promets, dit Riley.
Ils raccrochèrent. Riley se sentit mal. Meredith l’avait aidée à traverser des moments difficiles et il ne lui avait jamais montré une telle vulnérabilité. Elle n’avait pas envie de le laisser tomber. Et elle venait de promettre d’y réfléchir.
Elle n’était pas sûre de pouvoir refuser.
L’homme était assis dans sa voiture garée sur le parking. Il observait la pute qui marchait sur le trottoir. Elle se faisait appeler « Mousseline ». Sans doute pas son vrai non. Il y avait bien des choses qu’il ne savait pas sur elle.
Je pourrais la faire parler, pensa-t-il. Mais pas ici. Pas maintenant.
Il ne la tuerait pas aujourd’hui. Pas si près de son lieu de travail – la salle de gym. De là où il se tenait, il pouvait apercevoir les vieilles machines de musculation à travers la vitrine. Trois tapis, un rameur et des poids. Rien ne fonctionnait. Pour ce qu’il en savait, personne ne venait là pour faire du sport.
Pas du sport comme on en fait habituellement, pensa-t-il avec un rictus.
Il n’était pas venu souvent – pas depuis qu’il avait tué la brunette qui bossait là quelques années plus tôt. Bien sûr, il ne l’avait pas assassinée ici. Il l’avait attirée dans un motel pour des « petits extras » et avec la promesse de payer grassement.
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