Ils lui firent traverser le complexe, passer devant les esclaves au travail et les guerriers à l'entraînement, devant les statues montrant un Ulren jeune qui se tenait sur les cadavres de ses ennemis. Stephania savait sans aucun doute que c'était un homme dangereux. Pour n'être assujetti qu'à Irrien, il avait fallu qu'il arrive par tous les moyens au quasi-sommet de la hiérarchie d'un des endroits les plus dangereux qui soient.
Perdre ici, c'était mourir ou pire que mourir mais Stephania ne comptait nullement perdre. Elle avait tiré des leçons de l'invasion et même de l'échec de sa prise de contrôle d'Irrien. Cette fois, elle avait quelque chose à offrir. Ulren voulait les mêmes choses qu'elle : le pouvoir et la mort de l'ex-Première Pierre.
Stephania avait entendu parler de gens qui avaient fondé leur mariage sur bien pire que cela.
Ceres descendit du petit bateau et passa sur la rive, impressionnée par le fait qu'un endroit comme celui-là puisse exister quelque part sous terre. Elle savait que les pouvoirs des Anciens régnaient ici mais elle ne comprenait pas pourquoi ils gardaient cet endroit. Pourquoi créer un jardin au centre d'un cauchemar ?
Bien sûr, du peu qu'elle avait vu des Anciens, le fait qu'il existe un cauchemar pouvait être une raison suffisante pour l'existence du jardin.
De plus, il y avait le dôme, qui semblait être fait de pure lumière dorée. Ceres s'en rapprocha. S'il y avait une réponse à trouver ici, elle était sûre qu'elle serait quelque part à l'intérieur de ce dôme.
Il y avait une brume légère dans la lumière et, à l'intérieur, Ceres pensa voir deux silhouettes. Elle espéra que ce n'étaient pas d'autres sorciers morts-vivants. Ceres n'était pas sûre qu'elle aurait encore la force d'en affronter.
Quand Ceres essaya d'entrer dans la lumière, elle ne put s'empêcher de se préparer à ressentir une sorte de choc ou de force dont le but aurait été de la repousser. En fait, il n'y eut qu'un moment de pression puis elle traversa la lumière, entra dans le dôme et regarda autour d'elle.
L'endroit ressemblait à l'intérieur d'une pièce opulente avec des couvertures et des divans, des statues et des ornements qui semblaient être suspendus à l'intérieur du dôme. Il y avait aussi autre chose : des objets en verre et des livres qui parlaient de l'art de la sorcellerie.
Deux personnes se tenaient au cœur de la pièce. L'homme dégageait la même grâce et la même paix que Ceres avait vues chez sa mère et il portait les robes pâles qu'elle avait vues dans les souvenirs des Anciens. La femme portait les robes plus sombres d'une sorcière mais, à la différence de ceux d'au-dessus, elle avait l'air encore jeune, pas desséchée par le temps.
En les regardant, Ceres se rendit compte qu'ils avaient aussi l'air légèrement translucide qu'elle avait vu dans les autres parties du complexe, dans les souvenirs qui s'y trouvaient.
“Ils ne sont pas réels”, dit-elle.
L'homme rit en entendant ses paroles. “Tu entends ça, Lin ? Nous ne sommes pas réels.”
La femme tendit la main et lui toucha le bras. “Cette erreur est compréhensible. Après tout ce temps, j'imagine que nous ressemblons à de simples ombres de ce que nous avons été.”
Cette réponse prit Ceres de court. Elle tendit impulsivement le bras vers l'homme. Elle vit sa main lui traverser la poitrine. Elle se rendit compte de ce qu'elle venait de faire.
“Désolée”, dit-elle.
“Ce n'est pas grave”, dit l'homme. “J'imagine que c'est un peu déconcertant.”
“Qu'êtes-vous ?” demanda-t-elle. “J'ai vu les sorciers d'au-dessus et vous n'êtes pas comme eux, et vous n'êtes pas non plus comme les souvenirs, qui ne sont que des images.”
“Nous sommes quelque chose … d'autre”, dit la femme. “Je m'appelle Lin et voici Alteus.”
“Je m'appelle Ceres.”
Ceres remarqua que les deux personnes se tenaient proches l'une de l'autre; Lin gardait une main posée sur l'épaule d'Alteus. Ils ressemblaient tous les deux à un couple très amoureux. Est-ce que Thanos et elle deviendraient comme ça un jour ? Ils seraient probablement moins transparents, tout de même.
“La bataille faisait rage”, dit Alteus, “et nous ne pouvions pas l'arrêter. Ce que les sorciers prévoyaient de faire était maléfique.”
“Certains représentants de ton espèce ne valaient pas mieux”, dit Lin avec un léger sourire comme s'ils avaient déjà eu cette conversation plus d'une fois. “Tout est arrivé si vite. Les Anciens ont emprisonné les sorciers en l'état, leur magie a mêlé le passé à l'avenir et Alteus et moi …”
“Vous êtes devenus autre chose”, termina Ceres. Des souvenirs sensibles. Des fantômes du passé qui pouvaient se toucher l'un l'autre, même si c'était tout ce qu'ils pouvaient faire.
“J'ai l'impression que tu ne t'es pas battue pour échapper à tout ce que tu as trouvé au-dessus que pour entendre notre histoire”, dit Alteus.
Ceres avala sa salive. Elle ne s'était pas attendue à cela. Elle s'était attendue à trouver un objet, peut-être une chose comme le point de connexion qui contrôlait les envoûtements d'au-dessus. Pourtant, l'Ancien qui se tenait devant elle avait raison : elle était venue en ce lieu pour une raison précise.
“J'ai le sang des Anciens”, dit-elle.
Elle vit Alteus hocher la tête. “Je le vois.”
“Mais quelque chose la restreint”, dit Lin, “limite ses pouvoirs.”
“Quelqu'un m'a empoisonnée”, dit Ceres. “Il m'a retiré mes pouvoirs. Ma mère a pu me les restituer quelque temps mais cela n'a pas duré.”
“Le poison de Daskalos”, dit Lin avec une nuance de dégoût.
“Une chose maléfique”, dit Alteus.
“Mais une chose que l'on peut défaire”, ajouta Lin. Elle regarda Ceres. “Si elle est en est digne. Je suis désolée mais c'est beaucoup de pouvoirs pour une seule personne. Nous avons vu les conséquences que cela pouvait avoir.”
“De plus, étant donné ce que nous sommes, il faudrait beaucoup de gens pour le défaire”, dit Alteus.
Lin tendit la main et lui toucha le bras. “Peut-être est-il temps de voir de nouvelles choses. Nous sommes ici depuis des siècles. Même si nous pouvons créer beaucoup de choses, il est peut-être temps de voir ce qui viendra ensuite.”
Quand elle entendit ces paroles, Ceres réfléchit et en comprit peu à peu les implications.
“Attendez ! Si vous me soignez, cela vous tuera ?” Elle secoua la tête mais, à ce moment-là, elle fut interrompue par des pensées de Thanos et de tous les autres habitants d'Haylon. Si elle refusait de se faire soigner, ils mourraient eux aussi. “Je ne sais pas quoi dire”, admit-elle. “Je ne veux pas que quelqu'un meure pour moi mais beaucoup de gens mourront si je m'y oppose.”
Elle vit les deux esprits se regarder l'un l'autre.
“C'est un bon début”, dit Alteus. “Cela signifie qu'il existe une raison pour cela. Dis-nous le reste. Dis-nous tout ce qui t'a menée jusqu'ici.”
Ceres fit de son mieux. Elle expliqua tout ce qu'il y avait à savoir sur la rébellion, sur la guerre, sur l'invasion qui avait suivi et sur son incapacité à l'arrêter. Elle parla aussi de l'attaque menée contre Haylon qui, à l'instant même, mettait en danger tous ceux qu'elle aimait.
“Je comprends”, dit Lin en tendant la main pour toucher Ceres, qui fut surprise de ressentir une pression sur son bras. “Cela me rappelle un peu notre guerre.”
“Le passé se perpétue par échos”, dit Alteus, “mais il y a des échos qui ne peuvent pas être répétés. Il faut que nous sachions si elle le comprend.”
Ceres vit Lin hocher la tête.
“C'est vrai”, dit le fantôme. “Par conséquent, j'ai une question à te poser, Ceres. Voyons si tu comprends. Pourquoi tout cela est-il encore ici ? Pourquoi les sorciers sont-ils piégés comme ça ? Pourquoi les Anciens ne les ont-ils pas détruits ?”
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