« Riez autant que vous voulez, » dit Kate. « Mais vous ne rirez plus quand vous verrez ma récolte de tomates. »
C’était un vendredi matin et c’était une journée qui commençait bien. Les trois femmes prirent place sur des tabourets autour de l’îlot de cuisine de Kate, et commencèrent à prendre leur brunch avec du café. Et bien que la compagnie, la nourriture et le café soient excellents, il était tout de même difficile de ne pas remarquer l’absence de quelqu’un.
Debbie Meade ne faisait plus partie de leur groupe. Après que sa fille ait été assassinée, en faisant l’une des trois victimes d’un tueur que Kate avait fini par attraper, Debbie et son mari, Jim, avaient déménagé. Ils vivaient maintenant quelque part près de la mer, en Caroline du Nord. Debbie leur envoyait de temps en temps des photos de la mer, pour leur donner envie. Ils y vivaient maintenant depuis deux mois et ils avaient l’air d’être plutôt heureux – d’avoir pu laisser cette tragédie derrière eux.
La conversation fut essentiellement légère et agréable. Jane raconta comment son mari envisageait de prendre sa retraite l’année prochaine et qu’il planifiait déjà d’écrire un livre. Clarissa donna des nouvelles de ses enfants, qui avaient maintenant la vingtaine et qui venaient récemment de recevoir une promotion.
« En parlant d’enfants, » dit Clarissa, « comment va Melissa ? Ça lui plaît d’être maman ? »
« Oh oui, » dit Kate. « Elle est complètement folle de sa petite fille. Une petite fille que je vais garder ce soir, d’ailleurs. »
« Pour la première fois ? » demanda Jane.
« Oui. C’est la première fois que Mélissa et Terry sortent sans bébé. Ils ne rentreront pas de la nuit. »
« Ça y est ? Tu es en mode mamy ? » demanda Clarissa.
« Je ne sais pas, » dit Kate, en souriant. « J’imagine que j’en saurai plus ce soir. »
« Tu sais, » dit Jane, « tu pourrais faire comme moi, quand je faisais du babysitting adolescente. J’emmenais mon petit copain et dès que les enfants étaient au lit… »
« C’est un peu gênant, quand même, » dit Kate. ´
« Mais tu penses que ça plairait à Allen ? » demanda Clarissa.
« Je ne sais pas, » répondit Kate, en essayant d’imaginer Allen avec un bébé. Ils avaient commencé à sortir sérieusement ensemble après que Kate et son partenaire, DeMarco, aient arrêté le tueur en série qui sévissait ici à Richmond – celui qui avait assassiné la fille de Debbie Meade. Ils n’avaient jamais parlé de projets futurs, ni quoi que ce soit dans le genre. Ils n’avaient pas encore couché ensemble et ils étaient même rarement physiques l’un envers l’autre. Elle aimait les moments qu’elle passait avec lui, mais l’idée de l’inviter à prendre part à son rôle de grand-mère la mettait mal à l’aise.
« Ça va toujours bien entre vous deux ? » demanda Clarissa.
« Oui, je pense. Mais tout ce truc de sortir ensemble, ça me fait bizarre. Je suis trop vieille pour ce genre de choses, tu sais ? »
« C’est n’importe quoi, » dit Jane « Ne vous faites pas d’idées… j’adore mon mari, mes enfants et ma vie en général. Mais je donnerais n’importe quoi pour me retrouver à nouveau dans cette situation de sortir avec quelqu’un. Ça me manque. Rencontrer de nouvelles personnes, s’échanger un premier baiser… »
« Oui, c’est vrai, c’est effectivement assez agréable, » concéda Kate. « Mais Allen trouve aussi que ça fait bizarre. On passe de bons moments ensemble mais c’est… c’est un peu bizarre quand ça commence à devenir plus romantique. »
« Tout ça, c’est du blabla, » dit Clarissa. « Mais est-ce que tu le considères comme ton petit ami ? »
« On est vraiment obligé d’avoir cette conversation ? » demanda Kate, en sentant le rouge lui monter aux joues.
« Oui, » dit Clarissa. « En tant que vieilles femmes mariées, on a besoin de vivre tout ça indirectement à travers toi. »
« Et c’est aussi valable pour ton boulot, » dit Jane. « Comment ça se passe, d’ailleurs ? »
« Ça fait deux semaines qu’on ne m’a pas appelée, et le dernier coup de fil, c’était juste pour aider avec des recherches. Désolée, les filles… ce n’est pas aussi excitant que vous l’espériez. »
« Alors, tu es de nouveau en mode retraite ? » demanda Clarissa.
« En quelque sorte. C’est compliqué. »
Après ce commentaire, elles arrêtèrent de l’interroger et elles retournèrent à des sujets de conversation plus anodins – comme les nouveaux films qui allaient sortir au cinéma, le prochain festival de musique en ville, la construction de l’autoroute, etc. Mais l’esprit de Kate ne pouvait s’empêcher de repenser au boulot. C’était réconfortant de savoir que le FBI la considérait toujours comme une ressource mais elle avait espéré endosser un rôle beaucoup plus actif après avoir élucidé la dernière enquête. Mais pour l’instant, elle n’avait eu qu’une seule fois des nouvelles du directeur adjoint Duran et ça avait été pour avoir son opinion sur les performances de DeMarco.
Ça devait sûrement être bizarre pour ses amies qu’elle soit encore techniquement agent actif au FBI tout en jouant son nouveau rôle de mamy. Il faut dire que c’était aussi bizarre pour elle. Alors, si on ajoutait à ça sa relation avec Allen, elle pouvait facilement imaginer que sa vie devait sembler plutôt intéressante à leurs yeux.
Et franchement, elle se considérait privilégiée. Elle allait avoir cinquante-six ans à la fin du mois et elle savait que de nombreuses femmes de son âge rêveraient d’avoir sa vie. C’était quelque chose qu’elle se répétait à chaque fois qu’elle ressentait le besoin d’être plus active au travail. Et parfois, ça marchait.
Et aujourd’hui, c’était le cas, avec le fait qu’elle allait garder sa petite-fille pour la toute première fois de sa vie.
***
L’une des choses qu’elle trouvait difficile dans le fait de combiner son nouveau rôle de grand-mère avec son désir de se plonger à nouveau dans une enquête criminelle, c’était de penser comme une mammy. Cet après-midi-là, elle sortit de chez elle et se rendit dans l’une des petites boutiques du quartier de Carytown. Elle voulait offrir un cadeau à Michelle pour célébrer la première nuit passée chez sa grand-mère.
C’était difficile de mettre de côté son besoin de traquer des suspects pour se concentrer sur des peluches et des grenouillères. Mais au fur et à mesure qu’elle faisait les boutiques, elle commença à avoir de plus en plus facile. Elle se rendit compte que finalement, ça lui plaisait de faire du shopping pour sa petite-fille, bien qu’elle n’ait que deux mois et qu’elle se ficherait probablement du cadeau qu’elle recevrait. Elle eut du mal à se retenir et à ne pas acheter tout ce qu’elle voyait. Après tout, c’était un peu le rôle d’une grand-mère de gâter ses petits-enfants, non ?
Au moment où elle payait pour ses achats, elle reçut un message. Elle ne perdit pas une seconde pour le lire. Au cours des dernières semaines, à chaque fois qu’on l’appelait ou qu’on lui envoyait un message, elle avait l’espoir que ce soit Duran ou quelqu’un d’autre du FBI. Elle se réprimanda d’être déçue par le fait que ce soit Allen. Une fois qu’elle surmonta la déception de ne pas être appelée par le boulot, elle se rendit compte qu’elle était heureuse qu’il l’appelle – en fait, elle était toujours heureuse de lui parler.
« Allen, il faut que tu m’aides, » dit-elle en plaisantant, au moment où elle décrocha. « Je suis occupée à faire du shopping pour Michelle et j’ai envie d’acheter tout ce que je vois. C’est normal ? »
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