Ils terminèrent leur repas et quand l’addition arriva, Allen s’en saisit. Il savait qu’elle n’avait aucun souci d’argent. En fait, quand elle avait pris sa retraite la première fois, elle avait eu droit à un montant confortable pour vivre le restant de ses jours. Mais quand il le pouvait, Allen tenait vraiment à lui montrer qu’elle pouvait se sentir en sécurité avec lui. Et pour lui, ça voulait dire que l’homme payait l’addition.
« Je te rejoins, » dit Kate, quand elle le vit se lever de sa chaise, avec l’addition en main. « Je pense que Mélissa a appelé pendant qu’on dînait et j’aimerais la rappeler tout de suite. »
« Dis-lui bonjour de ma part, » dit Allen, en se dirigeant vers l’entrée du restaurant.
Kate sortit son téléphone et vit que l’appel ne venait pas de Mélissa. C’était Duran qui l’avait appelée.
Elle sentit une pointe d’excitation, mais aussi de culpabilité. Elle savait que Duran l’avait appelée pour une seule raison – et surtout, à cette heure-ci. Et si son intuition avait vu juste, la raison de son appel voulait sûrement dire qu’elle pouvait oublier son voyage à Chicago avec Allen.
Ça ne sert à rien de continuer à faire des suppositions, pensa-t-elle.
Elle rappela directement Duran, en sachant qu’il n’était pas du genre à rester très longtemps au téléphone. Il décrocha après la première sonnerie.
« Kate, comment allez-vous ? »
« Bien. » Elle savait que le fait de l’appeler par son prénom signifiait qu’il était pressé – qu’il allait aller droit au but.
« Si ça vous intéresse, j’ai une affaire pour vous. Ça ne devrait pas être trop compliqué, rien qui sorte de l’ordinaire. »
« Bien sûr que ça m’intéresse. Vous pouvez m’en dire plus ? »
« C’est dans le Delaware. Deux meurtres qui ont probablement un lien entre eux. J’ai besoin que vous y soyez dès demain. Quant aux détails, je laisserai l’agent en charge de l’affaire vous mettre au courant. »
« Quel est le nom de l’agent ? »
« DeMarco, » dit Duran. Elle crut déceler une pointe de joie dans sa voix, au moment où il prononça son nom. Même lui avait remarqué la manière productive avec laquelle elles travaillaient ensemble. « Elle a très bien géré l’enquête jusqu’à présent, mais il n’y a aucune piste et elle a besoin d’un coup de main. Mais bien entendu, elle ne l’admettra jamais. »
« Est-ce qu’elle est au courant de ma venue ? »
« Je l’appellerai dès qu’on aura raccroché. Ça ne vous dérange pas de conduire ? Le FBI vous remboursera l’essence. »
« OK. » Et bien que ce soit une très bonne nouvelle, elle ne pouvait s’empêcher de penser à Allen et à Chicago.
« Super. J’appelle DeMarco et je lui demanderai de me rappeler quand vous l’aurez rejointe. Merci, Wise. »
Il raccrocha et Kate resta assise un moment à table, en essayant de reprendre ses esprits. Au moment où elle se leva de sa chaise, elle vit Allen qui l’attendait près de la porte d’entrée. Il avait un léger sourire aux lèvres.
« Ce n’était pas Mélissa, n’est-ce pas ? » demanda-t-il, quand elle se rapprocha de lui.
« Comment le sais-tu ? »
« Tu as le visage détendu quand tu lui parles. Mais la conversation que tu viens juste d’avoir… tu étais assise droite comme un i et tu avais l’air très concentrée. C’était Duran, c’est ça ? »
« Oui. »
Il hocha la tête et lui ouvrit la porte pour la laisser sortir. Quand ils se retrouvèrent dehors sous les lueurs des réverbères, il lui prit la main. « J’imagine qu’il n’est plus question que tu viennes à Chicago ? »
« Il m’a offert une opportunité, » dit-elle. « Je me suis dit qu’on pouvait en parler ce soir. »
« Une enquête ? »
« Oui, » dit-elle.
« Et quand est-ce que tu devrais prendre la route ? »
« Tôt demain matin. »
« Alors, ça ne sert à rien d’en parler, » dit-il. « Kate, on en a déjà parlé. Je sais ce que ce boulot signifie pour toi. Alors, vas-y. De toute façon, je pars en voyage d’affaires. Ça aurait été sympa que tu sois là, mais on ne se serait pas beaucoup vus. »
« Allen, je peux… »
« Il n’y a pas de problème. Tu sais… Je t’ai donné un ultimatum il y a quelques semaines. J’y tiens toujours, mais ça… je pense que c’est OK. Il va juste falloir qu’on repense à tout ça quand je dirai définitivement au revoir au monde du travail. »
« Dans trois mois, » dit-elle, avec une grimace.
« Je sais. J’ai du mal à y croire. »
Le restaurant thaïlandais se trouvait à deux kilomètres de chez elle et ils avaient choisi d’y aller en marchant – c’était quelque chose qu’ils essayaient de faire au moins deux fois par semaine. La soirée était agréable et l’air commençait à se rafraîchir avec la tombée de la nuit.
« Alors, si je pars vers quatre heures et demie du matin, tu ne seras pas fâché ? » demanda-t-elle, quelques instants plus tard.
« Non. Je veux que tu continues à faire ce boulot tant qu’on arrive tous les deux à le supporter. Je ne serai pas fâché. Mais n’oublie pas de me faire un bisou avant de partir. »
Elle s’appuya contre lui, en se demandant comment elle avait fait pour trouver un homme aussi compréhensif que lui. Puis elle se demanda également combien de temps elle allait pouvoir continuer à faire ce boulot.
« Si tu continues à être aussi compréhensif, » dit-elle, « tu pourrais avoir beaucoup plus qu’un bisou. »
Il rit, la prit par la taille et ils continuèrent à marcher à travers la nuit.
Ça faisait une éternité que Kate n’avait plus conduit aux petites heures du matin. À 4h50, elle était déjà sortie du labyrinthe des routes entourant la ville de Washington et elle roulait en direction du Delaware. Elle avait consulté ses emails la veille et elle n’avait rien vu de Duran. Mais juste après s’être réveillée, elle avait à nouveau regardé et elle ne fut pas surprise de voir que Duran lui avait envoyé une copie des dossiers de l’affaire un peu après minuit.
Les meurtres avaient eu lieu dans la ville d’Estes, une petite ville située sur le lac Fallows. En voyant le soleil se lever, elle repensa aux vacances qu’elle venait de passer avec Allen en bord de mer. Ils étaient allés sur la plage un matin, pour regarder le soleil se lever en mangeant des bagels et des fraises. Bien qu’une ville en bordure de lac n’eût rien à voir avec des vacances à la mer, les deux devaient sûrement avoir le même genre de charme… surtout à cette époque de l’année, entre les derniers jours de l’été et les premières journées fraîches d’automne.
C’était un souvenir très agréable, mais qui la fit également se sentir un peu coupable. Allen avait eu l’air presque trop compréhensif au sujet de cette enquête. Et elle se demanda s’il allait réitérer son ultimatum dans trois mois, quand il prendrait sa retraite. Quelque part, il avait un peu le droit de le faire. Et cela voulait dire qu’elle allait devoir y réfléchir sérieusement.
Mais d’abord, elle devait se concentrer sur cette affaire. Et si la dernière enquête lui avait appris quelque chose, c’était qu’elle devait absolument trouver le moyen de séparer sa vie privée de sa vie professionnelle. Quelque part, c’était plus difficile aujourd’hui qu’à l’époque où elle était mariée et qu’elle avait un enfant à élever.
Elle entra dans la ville d’Estes à 7h40, vingt minutes avant l’heure à laquelle elle devait retrouver DeMarco sur les lieux de la dernière scène de crime. Bien que la ville se trouve à plus d’un kilomètre du lac, Estes était construite de manière à faire penser qu’elle se trouvait directement en bord de mer. À un tel point que certains éléments de l’endroit donnaient l’impression que c’était l’océan qui se trouvait au bout de la rue, et non pas un lac. Les maisons ressemblaient toutes à des maisons côtières et il y avait plusieurs magasins de souvenirs le long de la grand-rue qui semblaient tout droit venus des plages du Delaware, qui se trouvaient à cent-vingt kilomètres plus à l’Est. Vu qu’elle était à l’avance, Kate s’arrêta pour prendre un café avant de se rendre sur les lieux de la dernière scène de crime.
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