La vendeuse perplexe se rendit dans l’arrière-boutique – encombrée de portants gris et moches, songea Lacey – chercher les ensembles.
Lacey décrocha. “Stephen ?”
“Bonjour Lacey. Je suis avec Martha. Rendez-vous au magasin pour discuter ?”
Son air enjoué lui parut prometteur, Lacey avait le sourire.
“Parfait. J'y suis dans cinq minutes.”
La vendeuse revint les bras chargés d’autres ensembles. Les couleurs étaient parfaites – beige, noir, bleu marine et rose poudré.
“Vous les essayez ?” demanda la vendeuse.
Lacey fit non de la tête. Elle était pressée, impatiente de terminer ses emplettes et filer chez le voisin. Elle fixait la porte avec impatience.
“ Non, je vous fais confiance, ce sont les mêmes, ça ira. Vous pouvez les emballer ?” demanda-t-elle, pressée. Elle perdait patience. “Oh, je garde celui-ci.”
La vendeuse demeurait imperturbable malgré les tentatives de Lacey pour qu'elle accélère le mouvement. Comme un fait exprès, elle prit tout son temps pour plier et emballer soigneusement chaque article dans du papier de soie.
“Attendez !” s'exclama Lacey, tandis que la femme prenait un sac en papier pour y loger les vêtements. “Je ne vais pas sortir avec un sac en papier. Il me faut un sac à main. Un beau sac.” Elle passa en revue les sacs exposés sur l’étagère derrière la vendeuse. “Vous pouvez en choisir un qui aille avec les ensembles ?”
Vue son expression, la vendeuse la prenait certainement pour une folle. Elle se retourna, examina chacun des sacs et s'empara d'une besace XXL en cuir noir avec une boucle dorée.
“Parfait,” déclara Lacey, trépignant telle une athlète avant le signal du départ. “Emballez-le.”
La vendeuse obéit et rangea soigneusement les ensembles dans la besace.
“Ce sera–”
“DES CHAUSSURES !” s'écria Lacey. Quelle tête de linotte. Ses chaussures merdiques l’avaient poussées dans ce magasin. “Il me faut des chaussures !”
La vendeuse ne se départit pas de son flegme. Elle croyait peut-être à une plaisanterie, Lacey allait partir sans payer.
“Toutes nos chaussures sont là,” répondit-elle froidement en les lui montrant d'un geste.
Lacey contempla les magnifiques stilettos qu’elle portait d'habitude à New York, avoir les chevilles douloureuses faisait partie du métier. Mais les choses avaient changé, adieu talons inconfortables.
Elle repéra des derbies noires vernies qui s'accorderaient à merveille avec ses nouveaux ensembles.
“Celles-ci,” en les déposant sur le comptoir, devant la vendeuse.
Elle ne demanda pas à Lacey si elle voulait les essayer et les emballa, elle faillit s'étouffer devant le montant à quatre chiffres affiché sur la caisse enregistreuse.
Lacey sortit sa carte de crédit, régla, enfila ses nouvelles chaussures, remercia la vendeuse et se précipita vers le local voisin. L’espoir renaissait, elle allait récupérer les clés auprès de Stephen, elle serait bientôt voisine de la vendeuse impassible chez qui elle venait d’acheter sa nouvelle identité.
Stephen eut du mal à la reconnaître lorsqu'elle entra.
“Tu m’avais pas dit qu’elle était légèrement farfelue ?” demanda du bout des lèvres une femme à ses côtés, il devait s'agir de Martha, son épouse. Pour la discrétion, elle repassera. Lacey avait tout entendu.
Lacey était fière de sa tenue. “Ta-da ! Je vous avais bien dit que j'avais raison,” le taquina-t-elle.
Martha regarda Stephen. “Pourquoi t'inquiéter, imbécile ? C'est le ciel qui nous l'envoie ! Fais-lui signer le bail tout de suite !”
Lacey n'en croyait pas ses yeux. Quelle chance. Un vrai cadeau du ciel.
Stephen s'empressa de sortir des documents de son sac qu'il posa devant elle sur le comptoir. Contrairement aux documents de divorce qu’elle avait contemplé, incrédule et désespérée, ces documents-là étaient synonymes de promesse, de chance. Elle prit son stylo, celui-là même avec lequel elle avait signé les documents de divorce et apposa sa signature en bas.
Lacey Doyle. Chef d'entreprise.
Sa nouvelle vie pouvait enfin commencer.
Lacey balayait le plancher de la boutique dont elle était l'heureuse locataire, le cœur en liesse.
C'était la première fois qu'elle ressentait cette impression. Sa vie, son destin, son avenir lui appartenaient. Elle cogitait à cent à l'heure, faisait des projets. Elle transformerait l'arrière-boutique en salle des ventes, en l'honneur de son père. Elle avait assisté à des tonnes de ventes aux enchères quand elle travaillait pour Saskia (plutôt côté acheteur que vendeur) mais possédait les connaissances requises. Elle tenait un magasin pour la première fois. Tout effort mérite récompense.
Une silhouette passa devant la devanture, s’arrêta net et scruta la vitrine. Elle s'arrêta de balayer, espérant qu'il s'agisse de Tom, la silhouette immobile était celle d'une femme mais pas n'importe laquelle, Lacey la reconnut illico. Maigre, une robe noire, les mêmes cheveux longs noirs et ondulés qu'elle. Son double maléfique – la vendeuse du magasin d'à côté.
Elle fit irruption dans la boutique, la porte d'entrée n’était pas fermée.
“Que faites-vous ici ?”
Lacey posa le balai contre le comptoir et lui tendit la main. “Lacey Doyle. Votre nouvelle voisine.”
La femme regarda la main de Lacey d'un air dégoûté, comme si elle était couverte de microbes. “Pardon ?”
“Je suis votre nouvelle voisine,” répéta Lacey avec assurance. “Je viens de louer ce local.”
La vendeuse avait pris une claque. “Mais ...” marmonna-t-elle.
“Vous êtes la propriétaire ou une simple employée ?” demanda Lacey en essayant de la faire atterrir.
La femme hocha la tête, comme hypnotisée. “La propriétaire. Taryn. Taryn Maguire.” Elle arbora un sourire amical une fois remise de sa surprise. “Ravie d'avoir une nouvelle voisine. C’est génial ! Le manque de lumière a du bon, ça cachera l'aspect vétuste.”
Lacey se retint de ne pas contre-attaquer, fruit de longues années d'expérience grâce à sa mère, habituée à souffler le chaud et le froid.
Taryn éclata de rire, comme pour faire oublier sa répartie malheureuse. “Comment avez-vous fait pour le louer ? Je croyais que Stephen comptait vendre.”
Lacey haussa les épaules. “C'était son intention mais ses plans ont changé.”
Taryn était crispée. Elle scrutait le magasin, son nez retroussé semblait s'allonger, son dégoût allait crescendo.
“Et vous allez vendre des antiquités ?”
“C'est exact. Mon père était antiquaire, c'est ma façon de lui rendre hommage.”
“Une antiquaire,” répéta Taryn. De toute évidence, la présence d'une boutique d’antiquités près de sa boutique huppée lui déplaisait. Elle regardait Lacey de ses yeux perçants. “Vous avez le droit ? Vous arrivez et hop, vous ouvrez un magasin ?
“J'ai un visa,” rétorqua froidement Lacey.
“C'est ... intéressant,” répondit Taryn en choisissant ses mots avec soin. “Lorsqu'un étranger souhaite travailler ici, l'employeur doit prouver qu'un britannique ne brigue pas déjà le poste. Je constate que ces règles ne s'appliquent pas à la création d'entreprise …” Son ton méprisant était flagrant. “Stephen a loué à une étrangère ? Alors que le magasin est vide depuis quoi, deux jours ?” Sa pseudo-politesse fondait comme neige au soleil.
Lacey préféra ne pas répondre.
“Un vrai coup de chance. Stephen était dans le magasin tandis que je passais dans le coin. Il était anéanti par le départ précipité des anciens locataires, ils lui ont laissé des impayés, les astres me sont favorables. On s'aide mutuellement. C'est le destin.”
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