Devin s'empara d'une quintaine plus grande que lui, des lances métalliques faisant office d'armes qu'on projetait pour parer les coups d'une fine lame. Il fallait alors faire mouche, se déporter ou esquiver, faire en sorte que l'arme ploie sans se la faire prendre, toucher sans se faire toucher. Devin se mit en garde et frappa. Ses premiers coups d'estoc étaient bien droits, il se déplaçait et testait son épée. Il reçut les premiers coups de lance de plein fouet, esquiva de justesse les suivants, faisant peu à peu corps avec l'épée. Il accéléra son allure, ajusta son jeu de jambes, se déplaça, mettant en garde à chacun de ses coups : paré, fente et retour.
Happé par la pratique, il cessa de réfléchir à ses mouvements, frapper, esquiver et ployer s'enchaînaient, l'acier se frottait à l'acier, sa lame pourfendait, il attaquait et ripostait. Il s'entraîna jusqu'à être en sueur, la quintaine tournant avec une rapidité pouvait lui infliger blessures ou égratignures s'il n'esquivait pas à temps.
Il finit par reculer et saluer le mât tel un épéiste saluant son adversaire, et vérifia que la lame n'était pas endommagée. Pas d'entaille ni de fissure, parfait.
“Ta technique est bonne,” lança une voix, Devin fit volte-face et se retrouva nez à nez avec un homme d'une trentaine d'années en haut-de-chausses, chemise nouée afin que le vêtement n'entrave pas la lame. Sa longue tresse noire ne risquait pas de se défaire au combat, ses traits aquilins faisaient ressortir ses yeux gris perçant. Il boitillait, signe probable d'une ancienne blessure. "Décolle tes talons du sol quand tu te retournes ; tu dois progresser pour acquérir ce mouvement.”
“Vous … vous êtes le maître d'armes Wendros,” répondit Devin. La Maison comptait plusieurs maîtres d'armes mais Wendros était le plus réputé, la liste d'attente était longue.
“Tu crois ?” en contemplant un moment son reflet dans une armure argentée. “Peut-être bien. Hmm, à ta place, j'écouterais. Il semblerait que je n'ai plus rien à apprendre en matière de maniement d'épée.”
“Ecoute bien ce que je vais te dire,” ajouta le maître d'armes Wendros. “Abandonne.”
“Pardon ?” ajouta Devin, interloqué.
“Laisse tomber tes ambitions de futur maître d'armes. Les soldats sont juste bons à attendre au garde à vous. Un guerrier, ce n'est pas ça.” Il s'approcha. “Pas ça du tout.”
Devin ne savait que répondre. Il parlait de quelque chose de grandiose, quelque chose qui requérait de la sagesse mais il ne comprenait pas encore quoi.
Devin voulut répondre mais les mots lui firent défaut.
Sur ces entrefaites, Wendros tourna les talons et sortit au soleil levant.
Devin repensa à son rêve. Une sorte de connexion les reliait.
Il avait le sentiment qu'aujourd'hui, sa vie changerait à tout jamais.
La Princesse Lenore avait du mal à en croire ses yeux, le château était une vraie splendeur, métamorphosé par les domestiques à l'occasion de son mariage. Les murs de pierre gris étaient recouverts de tentures bleues et d'élégantes tapisseries, de chaînettes torsadées et de pampilles. Des douzaines de servantes s'affairaient autour d'elle, disparaissant sous robes et accessoires, toutes s'affairant telles des abeilles ouvrières.
Elles faisaient tout ça pour elle, Lenore leur en était extrêmement reconnaissante, même si tout ceci était bien prévisible, en tant que princesse. Lenore était toujours étonnée qu'on se donne autant de mal pour elle, simplement à cause de son rang. Elle appréciait énormément la beauté ; les soieries et les dentelles conféraient au château un air de merveilleux …
“Tu es parfaite,” lui dit sa mère. La reine Aethe donnait ses ordres, elle était resplendissante de velours noir vêtue, couverte de bijoux étincelants.
“Tu trouves ?” demanda Lenore.
Sa mère la conduisit devant le grand miroir installé par les servantes. Lenore admirait leurs ressemblances, leurs cheveux noirs, leur taille fine et élancée. Greave excepté, ses autres frères et sœurs tenaient tous de leur père, Lenore était la digne fille de sa mère.
Grâce aux attentions de ses servantes, la voici parée de soie et de diamants, ses cheveux tressés agrémentés d'un lien bleu, dans sa robe brocardée d'argent. Sa mère ajouta la touche finale et déposa un baiser sur sa joue.
“Tu es parfaite, une vraie princesse.”
Quel immense compliment venant de sa mère. Elle avait toujours martelé à Lenore qu'en tant qu'aînée, elle se devait de jouer son rôle de princesse conformément aux attentes du royaume, et donc paraître et se comporter en conséquence. Lenore faisait de son mieux, espérant que cela soit suffisant et essayait toujours de remplir ses obligations, aussi difficile que cela puisse paraître.
Sa situation conférait évidemment un statut particulier à ses jeunes sœurs ... Lenore aurait bien aimé que Nerra et Erin soient présentes. Oh, Erin se serait forcément plainte à force d'essayages et Nerra se serait certainement arrêtée en cours de route parce qu'elle ne se sentait pas bien, mais Lenore se languissait d'elles.
Une seule personne était ici présente.
“Quand doit-il arriver ?” demanda Lenore à sa mère.
“La cour du Duc Viris est arrivée en ville ce matin, son fils doit être parmi eux.”
“Vraiment ?” Lenore courut immédiatement se pencher à son balcon, espérant apercevoir son futur mari arriver de ce côté de la ville. Elle regarda par-delà le chapelet d'îles faisant office de ponts et formant la cité de Royalsport, il lui était impossible de distinguer des personnages de cette hauteur mais uniquement les cercles concentriques que l'eau formait entre les îles, et les édifices s'y dressant. Elle pouvait apercevoir les baraquements des gardes dont des hommes se déversaient, permettant ainsi le passage d'une rive à l'autre à marée basse, les Maisons—des Armes et des Soupirs, de la Connaissance et des Marchands—se dressaient au cœur de la cité, chacune régnant sur son quartier. Les pauvres gens vivaient sur des îles situées en marge, les plus riches habitaient sur des îles proches dont ils étaient parfois propriétaires. Le château dominait certes mais Lenore ne pouvait pas apercevoir son futur époux pour autant.
“Il sera bientôt là,” lui promit sa mère. “Ton père organise une partie de chasse demain matin, cela fait partie des célébrations, le Duc ne la manquerait pour rien au monde.”
“Son fils assiste à la chasse de Père et ne vient pas me voir ?” demanda Lenore. Elle se sentit subitement nerveuse, comme une petite fille, et non une femme de dix-huit printemps. S'agissant d'un mariage arrangé, elle imaginait qu'il ne veuille pas d'elle, qu'il ne l'aime pas.
“Il t'aimera dès qu'il te verra,” affirma sa mère. “Comment pourrait-il en être autrement ?”
“Je l'ignore, Mère … il ne m'a jamais vue …,” répondit Lenore, qui craignait de perdre son sang-froid.
“Il t'aimera et …” sa mère s'interrompit alors qu'on frappait à la porte de la chambre. “Entrez.”
Une servante moins richement vêtue entra ; vraisemblablement une domestique du château, indirectement rattachée au service de la princesse.
“Votre Majesté, Votre Altesse,” débuta-t-elle, avec courtoisie. “Je vous informe de l'arrivée de Finnal, le fils du Duc Viris, il vous attend dans l'antichambre, si vous souhaitez faire sa connaissance avant les festivités.”
Ah, les festivités. Son père avait décrété voilà un peu plus d'une semaine qu'il donnerait un banquet avec moult réjouissances, ouvert à tous.
“Si je le souhaite ?” répondit Lenore, avant de se rappeler l'usage en vigueur à la cour. Elle était princesse, après tout. “Bien sûr. Dites à Finnal que je descends.”
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