Il sentait la maladie progresser en lui. Elle avait été mise en pause pendant la brève période où il avait fait partie de la Ruche, mais elle avait été beaucoup trop avancée quand ils l’avaient arrêtée.
D’autres moments s’immiscèrent dans ses rêves : il naviguait le long de la côte avec Chloe et Luna ; il était dans le bunker, ils y étaient ensemble dans un coin du dortoir, pendant une brève nuit de sécurité. Kevin ne savait pas si c’était juste un rêve ou ce moment dont il avait entendu parler et où les gens voyaient défiler leur vie avant de mourir, ou quelque chose entre les deux.
La douleur l’attaqua à nouveau. Cette fois-ci, elle sembla lui serrer le cœur et l’écraser. Comme elle le tenait fermement, Kevin ne pouvait pas le sentir battre. C’était la sorte de douleur à l’existence de laquelle il n’aurait jamais pu croire avant de la ressentir, la sorte de douleur qui semblait tout englober en même temps.
Il y avait tant d’images dans ses rêves, tant de choses qu’il avait faites et qu’il n’aurait jamais pu faire si le monde avait été différent. S’il n’avait pas eu son pouvoir, est-ce que la Ruche aurait quand même envahi la Terre ? Est-ce qu’il aurait découvert tous ces endroits, vu toutes ces choses ?
Cependant, même si Kevin avait fait beaucoup de choses, ce n’était pas assez. Il ne voulait pas mourir. Il n’avait voulu mourir à aucun moment de cette histoire. Ce n’était pas juste.
— Allez, faites quelque chose !
Les mots semblaient venir de loin. La voix de Chloe passait par un voile qui, bien que fin, était quand même beaucoup trop épais pour que Kevin le traverse.
— Nous essayons, répondit une voix et, même si Kevin ne reconnut pas à qui elle appartenait, il reconnut la langue des Ilariens. Si nous avions eu le temps d’étudier ce qui lui arrivait …
— Il n’y a pas le temps, dit la générale s’Lara. Faites le nécessaire.
— Attendez, essaya de demander Kevin mais sans arriver à prononcer les mots, qu’est-ce que vous voulez dire ?
Alors, la douleur le frappa et, s’il avait cru savoir ce qu’était la douleur, celle-ci fut cent fois pire. Elle semblait envahir toutes ses cellules en même temps, le brûler, le geler, le déchirer et l’écraser. On aurait dit qu’elle le déchirait atome par atome et qu’elle les reconstruisait l’un après l’autre. Chaque cellule était légèrement différente, légèrement modifiée et, maintenant, il avait l’impression qu’une vague fraîche le traversait et le transformait sur son passage.
L’obscurité s’éleva une fois de plus devant lui, mais elle ne ressemblait pas à l’obscurité de la mort. En fait, elle lui paraissait réconfortante, douce et pure. Elle s’enroulait autour de Kevin aussi douillettement qu’une couverture et, finalement, il sentit à nouveau son corps.
— Vous pouvez ouvrir les yeux maintenant, Kevin, dit la générale s’Lara.
Les yeux de Kevin lui semblaient collants et difficiles à ouvrir. Il se sentait fatigué …
— Kevin, dit Chloe beaucoup moins doucement, réveille-toi.
Kevin ouvrit brusquement les yeux et il vit la salle où il se trouvait. Elle avait les murs blancs et dégageait une atmosphère paisible. Autour de lui, il y avait des extra-terrestres à la peau bleue et ils portaient des uniformes impeccables qui semblaient familiers. Il ne lui fallut qu’un autre moment pour comprendre que c’était un autre hôpital. Il passait beaucoup trop de temps à ces endroits-là. La générale s’Lara était présente et elle l’observait d’un air visiblement inquiet. Il y avait aussi Ro et c’était encore plus étrange de voir l’expression de son visage alors qu’il appartenait à une espèce extra-terrestre qui, en temps normal, ne ressentait aucune émotion.
Alors, il vit Chloe. Elle se tenait au-dessus de lui et Kevin vit qu’elle avait pleuré. Cependant, ses larmes les plus récentes semblaient être des larmes de joie plutôt que de douleur. Elle tendit les bras vers lui.
— Kevin, je croyais que tu étais mort ! dit-elle. Je croyais que …
— Je croyais moi-même que j’étais mort, dit Kevin.
Il essayait de plaisanter alors que c’était tout sauf une plaisanterie. Il sentait encore la douleur qui lui avait serré le cœur, dévastatrice, dangereuse et mortelle. Il avait vraiment cru qu’il allait mourir. Il avait pensé à toutes les choses qu’il avait faites et à toutes celles qu’il allait perdre.
Cependant, quand Kevin se tourna vers Chloe, il se sentit honteux parce que ce n’était pas à elle mais à Luna qu’il avait pensé au moment où il avait été si certain qu’il était sur le point de tout perdre. C’étaient des moments avec Luna qui lui étaient venus en tête quand il avait pensé à des passages importants de son passé. C’était à des souvenirs de Luna qu’il s’était raccroché et c’était eux qu’il avait tenus près de lui aux moments où il avait été mourant. C’était Luna qu’il avait eu si peur de perdre, pas Chloe. Maintenant, simplement regarder Chloe lui semblait être une sorte de trahison, même s’il ne pouvait pas s’en empêcher.
— Kevin, que se passe-t-il ? demanda Chloe, qui avait bien évidemment repéré sa perplexité.
— Ce n’est rien, dit Kevin en écartant cette pensée.
Il préféra se lever et marcher dans la salle en essayant d’évaluer comment il se sentait. Il s’attendait à ce que son corps soit faible et s’effondre sous l’effort même qu’il produisait en essayant de bouger. Il fut vraiment un peu étonné que les docteurs présents ne l’empêchent pas de se lever, mais ils voulaient peut-être vérifier comment il se portait, eux aussi.
Au lieu de s’effondrer, il se sentit … en bonne santé. Kevin doutait s’être déjà senti en aussi bonne santé à quelque moment que ce soit de sa vie. Il respirait facilement, il n’avait plus mal à la tête et n’avait plus de contractions à la poitrine. Ce ne fut que quand il constata que tous ses problèmes passés avaient disparu qu’il comprit la gravité de la maladie qu’il avait eue.
Il avait l’impression qu’il ne s’était jamais vraiment bien porté de toute sa vie parce que ce bien-être lui paraissait presque étrange par rapport à tout ce qu’il avait connu avant.
— Tu es sûr que tu vas bien ? lui demanda Chloe, et Kevin hocha la tête, même s’il ne savait pas comment décrire ce qu’il ressentait.
— Je ne crois pas m’être jamais senti aussi bien, dit-il.
Il regarda la générale s’Lara et les docteurs, qui semblaient tous l’examiner comme pour essayer de vérifier que tout soit normal.
— Qu’avez-vous fait ?
— Nous vous avons guéri, répondit la générale, Nous avons scanné votre corps pour y repérer des tendances défectueuses, puis nous avons utilisé notre technologie médicale pour remplacer ces tendances par quelque chose de nouveau. Votre cerveau a été stabilisé et votre maladie ne peut donc plus progresser.
— Et ma capacité à traduire des signaux ? demanda Kevin.
Soudain, il trouva la réponse à cette question avant que les autres aient pu dire quoi que ce soit. Les Ilariens ne parlaient pas sa langue, mais la leur. Il pouvait encore les comprendre, pouvait encore sentir les signaux des IA qui communiquaient les unes avec les autres et pouvait encore les traduire quand ils se faisaient trop forts.
… semble être entièrement guéri …
… pourrait s’avérer nécessaire …
— Normalement, la procédure n’a affecté que votre maladie, dit la générale s’Lara en jetant un coup d’œil à un des docteurs, qui hocha la tête, après quoi Kevin constata qu’elle était soulagée d’en avoir la confirmation.
Kevin aurait dû s’en sentir heureux. Il s’en sentait heureux, mais il ressentait aussi autre chose. D’une façon ou d’une autre, il avait l’impression que cela aurait dû être plus difficile. Après tout ce que les scientifiques terriens avaient fait pour le stabiliser et le guérir, il lui semblait impossible que ces extra-terrestres aient pu le guérir en déployant si peu d’efforts.
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