Les modalités de la participation féminine à la vie du livre et de la littérature : femmes auteures (ou autrices), épistolières, salonnières, lectrices, mais aussi libraires et entrepreneuses – comme l’a bien montré Roméo Arbour en son temps47 – et cela grâce au statut qui est le leur dans les corporations de métiers du livre.
La place et le statut du manuscrit, inédit ou non : le continent du manuscrit intéresse depuis longtemps les historiens du livre et s’intègre à la problématique plus large d’une histoire de la culture écrite, illustrée notamment dans le cas de Lyon au XVIIe siècle par le travail en profondeur d’Anne Béroujon48. Les historiens du livre n’ont-ils pas tous dit et redit que le livre imprimé n’avait jamais été en position de monopole médiatique dans aucune société49 ?
Livre et religion : voilà une thématique qui réclame toute notre attention, car n’oublions pas qu’une grande part de la production littéraire du XVIIe siècle est religieuse, dévote et spirituelle en particulier, mais aussi pamphlétaire, voire romanesque (on pense à Jean-Pierre Camus) et, se situant dans l’élan de l’humanisme chrétien, a par conséquent une portée sociale grandissante. Entre autres jalons, la pionnière Histoire littéraire du sentiment religieux (Paris, Bloud et Gay, 1916-1936) de l’abbé Henri Bremond mérite d’être davantage revisitée et de profiter pleinement des avancées de l’histoire du livre comme de l’histoire du littéraire, sans que soit oubliée la problématique de la littérarisation du religieux.
Les périodiques, autre innovation majeure du XVIIe siècle, n’ont pas été oubliés. Leur enjeu n’est pas mince pour la représentation et la légitimation du littéraire puisque ce sont notamment des périodiques littéraires qui, dans la foulée de la Fronde, sont parvenus à entamer le monopole de la Gazette de Théophraste Renaudot.
La librairie en fiction : la collecte des figures de libraires et d’hommes ou de femmes du livre dans la littérature, déjà bien engagée, n’a pas encore épuisé le sujet. Mais le nuancier des discours des auteurs en dit long déjà sur le rôle central des professionnels du livre, devenus médiateurs obligés des auteurs vers le public et le succès.
Les mazarinades : on n’aura garde de les oublier non plus car elles correspondent, comme Christian Jouhaud et Hubert Carrier l’avaient démontré, chacun à sa manière dès les années 198050, à un moment unique de mobilisation de toutes les formes disponibles de littérature et de publication au service du débat politique.
Le concept de police du livre, mis au point par les historiens du livre précisément à l’usage des XVIIe et XVIIIe siècles, se révèle également fructueux pour l’étude du littéraire. L’empilement des institutions centralisées qui ont au XVIIe siècle à faire avec le champ littéraire, de la Grande Chancellerie et de la censure royale à la lieutenance générale de police de Paris, doit être compris comme la contrepartie du mécénat royal exclusif sur les lettres mis en place par la monarchie absolue. Il faut se féliciter du fait que soit à présent engagée une histoire sociale de ces institutions qui régissent la vie du livre et de la littérature.
Enfin, et on ne l’oublie évidemment pas, la bibliographie matérielle, mise au service de toutes nos recherches attentives aux objets et aux supports de la vie du livre et de la littérature. Sans une maîtrise minimum de cette science auxiliaire, les textes auxquels on a accès restent pour nous comme abstraits, dépourvus des clefs qui permettent d’appréhender les conditions et processus de leur publication.
Soit en définitive une moisson de questionnements et d’apports qui témoigne de la fécondité de nos rencontres et du dynamisme de nos confluences. Certes, on savait déjà, comme l’écrit Ivan Jablonka, que « l’histoire est plus littéraire qu’elle le veut, et la littérature plus historienne qu’elle le croit51 ». Mais, au-delà d’une écriture et d’une méthode qui peuvent être proches, ce que ce colloque vient surtout nous rappeler, me semble-t-il, c’est à quel point les humanités qui sont les nôtres peuvent partager des centres d’intérêt et des préoccupations parentes.
L’histoire du livre est née, nous l’avons rappelé, du constat bien simple, en somme, que le livre, et l’imprimé au premier chef, n’allaient pas de soi, qu’ils devaient être replacés dans une ample interrogation d’histoire sociale et d’histoire de la culture de l’écrit. De même, l’étude du littéraire, sans du tout renoncer à lire les textes, bien au contraire, a su ne pas se laisser enfermer dans le « textualisme » et questionner la littérature comme n’allant pas de soi. La présence au monde des textes, même, interrogeait et nécessitait d’être replacée dans une chaîne d’interventions tout à la fois intellectuelles et matérielles, de « mise en texte », de « mise en livre », qui contribuaient à construire la signification et la portée de ces textes. D’où, depuis plusieurs décennies, une vaste entreprise de relativisation et de recontextualisation du livre, de la littérature et de ceux et celles qui, à l’image des imprimeurs-libraires, les ont fait exister et évoluer. Le paradoxe n’est qu’apparent : tout ce travail de relativisation, de recontextualisation, de quête de représentativité, n’a fait que renforcer et élargir l’intérêt que peuvent susciter aujourd’hui, pour la recherche, les trois termes de notre intitulé : Littérature, Livre, Librairie.
À nous à présent de capitaliser et d’avancer ensemble à partir de ces acquis de mieux en mieux partagés. Pour cela, toutefois, nous aurons à prendre garde au conditionnement et aux facilités que nous offrent aujourd’hui la recherche et la lecture de textes « dématérialisés », sur le continuum indifférencié de nos écrans : textes coupés de leurs supports d’origine et de leur identité matérielle (format, appartenance ou non à un recueil, encre, filigranes du papier, reliure, marques de provenance, annotations et traces de lecture, etc.), textes coupés de leurs corpus éditoriaux comme de leurs collections et catégorisations bibliothéconomiques – sans même évoquer ici la qualité déficiente de nombre de numérisations et surtout de leurs métadonnées… La commodité d’accès à des textes soustraits à leurs contextes et aux matérialités qui les ont vus naître et prendre sens ne doit pas nous laisser penser qu’il s’agit dès lors des « mêmes » textes, comme l’a rappelé à juste titre Roger Chartier52. Le matériau que l’on peut repérer et découvrir de nos jours commodément à distance grâce aux « re-productions » existantes, il est nécessaire de savoir aussi l’examiner et vérifier sur pièce53. Les bibliothèques doivent être à cet égard pleinement conscientes de leur responsabilité vis-à-vis de la recherche, en veillant bien sûr à la bonne conservation et au signalement pertinent, mais en préservant aussi l’accès aux exemplaires originaux d’éditions qu’elles ont numérisées ou fait numériser. Se laisser persuader de la pseudo-équivalence des textes inscrits dans leur environnement livresque d’origine et de leur version numérisée, ce serait d’une certaine façon démentir leur « mobilité54 », voire revenir insidieusement à une abstraction textualiste et à un antihistoricisme stérilisant. Ce serait en définitive tendre à défaire voire à nier les efforts et les avancées qui ont permis la confluence de nos recherches sur Littérature, livre et librairie en France au XVII esiècle . Et il y aurait tout lieu de le regretter.
I LA FABRIQUE DU LIVRE
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