– Et, de plus, ajouta Elizabeth, il est très joli garçon, ce qui ne gâte rien. On peut donc le déclarer parfait.
– J’ai été très flattée qu’il m’invite une seconde fois ; je ne m’attendais pas à un tel hommage.
– Moi, je n’en ai pas été surprise. C’était très naturel. Pouvait-il ne pas s’apercevoir que vous étiez infiniment plus jolie que toutes les autres danseuses ?... Il n’y a pas lieu de lui en être reconnaissante. Ceci dit, il est certainement très agréable et je vous autorise à lui accorder votre sympathie. Vous l’avez donnée à bien d’autres qui ne le valaient pas.
– Ma chère Lizzy !
– La vérité c’est que vous êtes portée à juger tout le monde avec trop de bienveillance : vous ne voyez jamais de défaut à personne. De ma vie, je ne vous ai entendue critiquer qui que ce soit.
– Je ne veux juger personne trop précipitamment, mais je dis toujours ce que je pense.
– Je le sais, et c’est ce qui m’étonne. Comment, avec votre bon sens, pouvez-vous être aussi loyalement aveuglée sur la sottise d’autrui ? Il n’y a que vous qui ayez assez de candeur pour ne voir jamais chez les gens que leur bon côté... Alors, les sœurs de ce jeune homme vous plaisent aussi ? Elles sont pourtant beaucoup moins sympathiques que lui.
– Oui, au premier abord, mais quand on cause avec elles on s’aperçoit qu’elles sont fort aimables. Miss Bingley va venir habiter avec son frère, et je serais fort surprise si nous ne trouvions en elle une agréable voisine.
Elizabeth ne répondit pas, mais elle n’était pas convaincue. L’attitude des sœurs de Mr. Bingley au bal ne lui avait pas révélé chez elles le désir de se rendre agréables à tout le monde. D’un esprit plus observateur et d’une nature moins simple que celle de Jane, n’étant pas, de plus, influencée par les attentions de ces dames, Elizabeth était moins disposée à les juger favorablement. Elle voyait en elles d’élégantes personnes, capables de se mettre en frais pour qui leur plaisait, mais, somme toute, fières et affectées.
Mrs. Hurst et miss Bingley étaient assez jolies, elles avaient été élevées dans un des meilleurs pensionnats de Londres et possédaient une fortune de vingt mille livres, mais l’habitude de dépenser sans compter et de fréquenter la haute société les portait à avoir d’elles-mêmes une excellente opinion et à juger leur prochain avec quelque dédain. Elles appartenaient à une très bonne famille du nord de l’Angleterre, chose dont elles se souvenaient plus volontiers que de l’origine de leur fortune qui avait été faite dans le commerce.
Mr. Bingley avait hérité d’environ cent mille livres de son père. Celui-ci qui souhaitait acheter un domaine n’avait pas vécu assez longtemps pour exécuter son projet. Mr. Bingley avait la même intention et ses sœurs désiraient vivement la lui voir réaliser. Bien qu’il n’eût fait que louer Netherfield, miss Bingley était toute prête à diriger sa maison, et Mrs. Hurst, qui avait épousé un homme plus fashionable que fortuné, n’était pas moins disposée à considérer la demeure de son frère comme la sienne. Il y avait à peine deux ans que Mr. Bingley avait atteint sa majorité, lorsque, par un effet du hasard, il avait entendu parler du domaine de Netherfield. Il était allé le visiter, l’avait parcouru en une demi-heure, et, le site et la maison lui plaisant, s’était décidé à louer sur-le-champ.
En dépit d’une grande opposition de caractères, Bingley et Darcy étaient unis par une solide amitié. Darcy aimait Bingley pour sa nature confiante et docile, deux dispositions pourtant si éloignées de son propre caractère. Bingley, de son côté, avait la plus grande confiance dans l’amitié de Darcy et la plus haute opinion de son jugement. Il lui était inférieur par l’intelligence, bien que lui-même n’en fût point dépourvu, mais Darcy était hautain, distant, d’une courtoisie froide et décourageante, et, à cet égard, son ami reprenait l’avantage. Partout où il paraissait, Bingley était sûr de plaire ; les manières de Darcy n’inspiraient trop souvent que de l’éloignement.
Il n’y avait qu’à les entendre parler du bal de Meryton pour juger de leurs caractères : Bingley n’avait, de sa vie, rencontré des gens plus aimables, des jeunes filles plus jolies ; tout le monde s’était montré plein d’attentions pour lui ; point de raideur ni de cérémonie ; il s’était bientôt senti en pays de connaissance : quant à miss Bennet, c’était véritablement un ange de beauté !... Mr. Darcy, au contraire, n’avait vu là qu’une collection de gens chez qui il n’avait trouvé ni élégance, ni charme ; personne ne lui avait inspiré le moindre intérêt ; personne ne lui avait marqué de sympathie ni procuré d’agrément. Il reconnaissait que miss Bennet était jolie, mais elle souriait trop.
Mrs. Hurst et sa sœur étaient de cet avis ; cependant, Jane leur plaisait ; elles déclarèrent que c’était une aimable personne avec laquelle on pouvait assurément se lier. Et leur frère se sentit autorisé par ce jugement à rêver à miss Bennet tout à sa guise.
English
Table des matières
À peu de distance de Longbourn vivait une famille avec laquelle les Bennet étaient particulièrement liés.
Sir William Lucas avait commencé par habiter Meryton où il se faisait une petite fortune dans les affaires lorsqu’il s’était vu élever à la dignité de « Knight » à la suite d’un discours qu’il avait adressé au roi comme maire de la ville. Cette distinction lui avait un peu tourné la tête en lui donnant le dégoût du commerce et de la vie simple de sa petite ville. Quittant l’un et l’autre, il était venu se fixer avec sa famille dans une propriété située à un mille de Meryton qui prit dès lors le nom de « Lucas Lodge ». Là, délivré du joug des affaires, il pouvait à loisir méditer sur son importance et s’appliquer à devenir l’homme le plus courtois de l’univers. Son nouveau titre l’enchantait, sans lui donner pour cela le moindre soupçon d’arrogance ; il se multipliait, au contraire, en attentions pour tout le monde. Inoffensif, bon et serviable par nature, sa présentation à Saint-James avait fait de lui un gentilhomme.
Lady Lucas était une très bonne personne à qui ses facultés moyennes permettaient de voisiner agréablement avec Mrs. Bennet. Elle avait plusieurs enfants et l’aînée, jeune fille de vingt-sept ans, intelligente et pleine de bon sens, était l’amie particulière d’Elizabeth.
Les demoiselles Lucas et les demoiselles Bennet avaient l’habitude de se réunir, après un bal, pour échanger leurs impressions. Aussi, dès le lendemain de la soirée de Meryton, on vit arriver les demoiselles Lucas à Longbourn.
– Vous avez bien commencé la soirée, Charlotte, dit Mrs. Bennet à miss Lucas avec une amabilité un peu forcée. C’est vous que Mr. Bingley a invitée la première.
– Oui, mais il a paru de beaucoup préférer la danseuse qu’il a invitée la seconde.
– Oh ! vous voulez parler de Jane parce qu’il l’a fait danser deux fois. C’est vrai, il avait l’air de l’admirer assez, et je crois même qu’il faisait plus que d’en avoir l’air... On m’a dit là-dessus quelque chose, – je ne sais plus trop quoi, – où il était question de Mr. Robinson...
– Peut-être voulez-vous dire la conversation entre Mr. Bingley et Mr. Robinson que j’ai entendue par hasard ; ne vous l’ai-je pas répétée ? Mr. Robinson lui demandait ce qu’il pensait de nos réunions de Meryton, s’il ne trouvait pas qu’il y avait beaucoup de jolies personnes parmi les danseuses et laquelle était à son gré la plus jolie. À cette question Mr. Bingley a répondu sans hésiter : « Oh ! l’aînée des demoiselles Bennet ; cela ne fait pas de doute. »
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