Tacite , qui connaît si bien le naturel des Princes, devait connaître aussi celui du Peuple, toujours vain, toujours outré dans ses opinions violentes & passageres, incapable de rien voir, & capable de tout dire, de tout croire, & de tout oublier.
Philon dit que Séjan les persécuta sous Tibere; mais qu'après la mort de Séjan, l'Empereur les rétablit dans tous leurs droits . Ils avaient celui des Citoyens Romains, tout méprisés qu'ils étaient des Citoyens Romains; ils avaient part aux distributions de bled, & même, lorsque la distribution se faisait un jour de Sabath, on remettait la leur à un autre jour: c'était probablement en considération des sommes d'argent qu'ils avaient données à l'Etat; car en tout Pays ils ont acheté la Tolérance, & se sont dédommagés bien vîte de ce qu'elle avait coûté.
Ce passage de Philon explique parfaitement celui de Tacite , qui dit qu'on envoya quatre mille Juifs ou Egyptiens en Sardaigne, & que si l'intempérie du climat les eût fait périr, c'eût été une perte légere, vile damnum .
J'ajouterai à cette remarque, que Philon regarde Tibere comme un Prince sage & juste. Je crois bien qu'il n'était juste qu'autant que cette justice s'accordait avec ses intérêts; mais le bien que Philon en dit, me fait un peu douter des horreurs que Tacite & Suétone lui reprochent. Il ne me paraît point vraisemblable qu'un Vieillard infirme de soixante & dix ans, se soit retiré dans l'Isle de Caprée pour s'y livrer à des débauches recherchées qui sont à peine dans la nature, & qui étaient même inconnues à la jeunesse de Rome la plus effrénée: ni Tacite , ni Suétone n'avaient connu cet Empereur; ils recueillaient avec plaisir des bruits populaires; Octave , Tibere , & leurs Successeurs avaient été odieux, parce qu'ils régnaient sur un Peuple qui devait être libre: les Historiens se plaisaient à les diffamer, & on croyait ces Historiens sur leur parole, parce qu'alors on manquait de Mémoires, de Journaux du temps, de Documents: aussi les Historiens ne citent personne; on ne pouvait les contredire; ils diffamaient qui ils voulaient, & décidaient à leur gré du jugement de la postérité. C'est au Lecteur sage de voir jusqu'à quel point on doit se défier de la véracité des Historiens, quelle créance on doit avoir pour les faits publics attestés par des Auteurs graves, nés dans une Nation éclairée; & quelles bornes on doit mettre à sa crédulité sur des Anecdotes que ces mêmes Auteurs rapportent sans aucune preuve.