– Entrez, dit-il en agitant la main en un geste exagérément accueillant.
Ryan avança et Jessie le suivit. Quand elle entra dans l’appartement, elle se rappela qu’elle avait le droit de recommencer à respirer.
C’était difficile de rester concentré.
Avec toute la testostérone qu’il y avait dans l’appartement, Jessie craignait encore un peu qu’une fusillade ne se déclenche à tout moment.
Elle traversa l’endroit en essayant d’oublier l’animosité qui couvait sous la surface. Elle avait besoin d’avoir les idées claires, maintenant. Le médecin légiste allait sans doute se concentrer sur l’état du corps et les techniciens de la scène de crime allaient chercher des éclaboussures de sang ou des empreintes digitales, mais elle devait être consciente de tout ce qui contribuait à la dimension psychologique de la victime. Même le plus petit détail pouvait mener au tueur.
L’appartement était assez générique. D’après le décor, on voyait que les deux résidents étaient des femmes, même si l’on n’avait pas précisé le sexe de la colocataire de la victime. L’une d’elles était visiblement beaucoup plus conservatrice que l’autre. Les tableaux affichés sur les murs étaient un mélange déroutant d’aquarelles, d’iconographie religieuse, de reproductions de Gustav Klimt et de photos provocantes de Mapplethorpe.
En parcourant le hall, Jessie eut clairement l’impression que la colocataire la plus outrancière était aussi celle qui avait le plus d’argent. Son style paraissait beaucoup plus dominant. Quand ils passèrent devant la petite chambre, Jessie jeta un coup d’œil à l’intérieur et vit une croix sur le mur au-dessus de la commode.
Donc, c’est celle qui pouvait se permettre de louer la grande chambre qui est morte.
Sans surprise, ils se rendirent à la grande chambre au bout du hall et Jessie y entendit des voix.
– Vous êtes prête, madame la profileuse criminelle ? demanda Costabile avec dérision.
– Elle a … commença à dire Ryan, mais elle le coupa.
– Je suis prête, répondit-elle.
Elle n’avait pas besoin que Ryan défende ses mérites professionnels et elle ne voulait vraiment pas subir un autre échange de testostérone pendant qu’elle essayait de se concentrer. Ignorant les hostilités qui se déroulaient derrière elle, elle inspira profondément et entra dans la chambre.
Avant même de regarder le corps, elle prit le temps d’inspecter la pièce. Il y avait d’autres décorations outrancières sur les murs et une lampe en boule disco à côté du lit. Dans le coin, une chaise était renversée sur le côté et des magazines étaient éparpillés au sol, ce qui suggérait qu’il y avait eu une lutte. Le bureau était presque vide, mais on voyait un rectangle propre entouré par une couche de poussière, ce qui indiquait à coup sûr qu’il y avait récemment eu un ordinateur portable à cet endroit.
– La télévision est encore là, remarqua Ryan, et la console de jeux vidéo aussi. Ça semble bizarre qu’un voleur laisse tout ça.
– Par contre, l’ordinateur portable a disparu, remarqua Jessie. Est-ce qu’on a trouvé un téléphone portable ?
– Pas encore, dit l’agent Webb.
– Avez-vous demandé son numéro à la colocataire pour qu’on puisse retrouver le téléphone ? demanda-t-elle en essayant de ne pas montrer son impatience.
– La colocataire a été un peu hystérique, dit Costabile. Nous avons eu du mal à obtenir autre chose que son nom, Elizabeth Polacnyk. Les urgentistes l’ont emmenée dans l’ambulance dehors. Ils allaient la mettre sous sédatifs.
– OK, dit Jessie, mais ne la laissez pas partir avant que nous ayons pu lui parler.
Costabile avait encore l’air en colère, mais il adressa un hochement de tête à l’agent Lester, qui était encore près de la porte d’entrée, pour qu’il transmette l’ordre. Quand il le fit, Jessie concentra finalement son attention sur la jeune fille qui était allongée sur le lit. Elle était déjà dans la housse mortuaire, mais cette dernière n’avait pas été refermée. Quand Jessie constata ce fait, elle fut furieuse.
– Est-ce que quelqu’un a pris des photos avant que son corps ait été dérangé ? demanda Ryan, posant à voix haute la question que Jessie avait en tête.
Un technicien de la scène de crime leva une main.
– J’ai réussi à prendre quelques photos juste avant qu’on la mette dans la housse, dit-il.
Le médecin légiste adjoint assigné à l’affaire avança.
– Bonjour. Je m’appelle Maggie Caldwell. Nous avons essayé de retarder l’emballage, dit-elle d’un air désolé, mais on nous a ordonné de le faire tout de suite.
L’accusation resta dans l’air ambiant, non formulée.
– Comme je l’ai dit, dit Costabile de manière défensive, cette affaire paraissait toute simple et nous ne voulions pas gaspiller de ressources.
Jessie répondit en essayant de garder une voix calme.
– Je suis sûre que vous avez des décennies d’expérience sur ce travail, sergent, dit-elle, mais avez-vous l’habitude d’ordonner de déranger une scène de meurtre avant que les policiers n’arrivent, quelles que soient les ressources requises ?
– Le Bureau de la Vallée n’est pas aussi riche que vous, dans le centre-ville, aboya-t-il. Nous n’avons pas le luxe de pouvoir nous attarder tendrement sur tous les cadavres de fugueurs que nous trouvons.
À mesure que la colère de Jessie montait, elle se rendit compte qu’elle s’exprimait de plus en plus calmement et de plus en plus lentement.
– Je ne savais pas que, dans cette partie de la ville, les procédures de police accordaient maintenant plus d’importance aux économies budgétaires qu’à la résolution des crimes. J’aimerais vraiment voir où se trouve cette ligne dans les nouveaux règlements. De plus, je n’avais pas compris que les meurtres de fugueuses adolescentes ne méritaient pas une enquête. Ai-je raté la bonne journée de cours à l’école de la Police de Los Angeles ?
– Est-ce que vous remettez en question mon professionnalisme ? demanda Costabile en avançant d’un pas vers elle.
– Je ne fais que poser des questions, sergent, répondit-elle sans reculer. Si votre conscience vous suggère quelque chose d’autre, c’est à vous d’y réfléchir. Je voudrais souligner que, si cette fille est une adolescente fugueuse, elle se débrouille très bien. Il est clair qu’elle a un travail bien rémunéré qui lui permet de vivre dans un appartement de bonne taille, d’acheter des œuvres d’art et, d’après ses ongles et ses cheveux, de dépenser beaucoup d’argent dans des salons de coiffure. Êtes-vous sûr de ne pas tirer des conclusions trop rapides sur son passé ?
Costabile sembla ne pas savoir à quelle question répondre en premier. Quand il eut passé un moment à souffler d’un air agacé, il répondit.
– La fille a été trouvée dans un uniforme de pom-pom girl avec la jupe baissée. Pour moi, c’est très vulgaire. À mon avis, c’est une professionnelle.
– Et si la jupe avait été baissée par son assaillant ? se demanda Jessie à voix haute. Votre policier a dit qu’elle avait dix-sept ans. Et si elle avait été une pom-pom girl dans son lycée ? Ou alors une actrice en costume ? Sommes-nous certains qu’elle soit une vulgaire prostituée ? Vous semblez tirer beaucoup de conclusions pour un professionnel expérimenté des services de police, sergent.
Costabile fit un autre pas en avant. Il était maintenant face à elle. Jessie craignait que Ryan ne tente d’intervenir, mais il restait à l’arrière. Elle soupçonna qu’il savait ce qu’elle faisait. Costabile lui parla à voix basse.
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