Жюльетта Бенцони - Les Joyaux de la sorcière

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— J’ai trouvé ça chez Lachaume, dit-elle, et je crois me souvenir que vous adorez ces couleurs-là !

— Il ferait beau voir qu’elle ne les aime pas, ricana la marquise. Celles du Pape ! En tout cas c’est ravissant !

Rouge de joie, Marie-Angéline emporta ses fleurs pour les mettre dans un vase tandis que Lisa embrassait la vieille dame avant de se tourner vers son époux qui l’étreignit sans plus de façons et manqua de s’éborgner avec la plume du chapeau.

— Toujours aussi dangereuse avec tes couvre-chefs, gronda-t-il tendrement en détachant avec habileté l’incriminé qui l’empêchait d’embrasser sa femme comme il l’entendait : c’est-à-dire de façon fort peu conjugale en sachant bien que le spectacle enchanterait Tante Amélie.

— Je n’aime pas quand tu es en retard, dit-il en la libérant. C’est idiot mais j’ai toujours peur qu’il arrive quelque chose !

— Mais je suis toujours en retard, mon chéri !

— C’est pourquoi je vis dans une perpétuelle angoisse, soupira-t-il. Et je n’arrive pas à comprendre comment en se transformant en Lisa Kledermann, l’admirable Mina Van Zelten, le parangon des secrétaires qui semblait avoir avalé une pendule, s’est changée en une affolante créature totalement dépourvue de la moindre notion du temps !

— Bon ! J’essaierai de ressusciter Mina plus souvent. Pour aujourd’hui ne grogne pas ! J’ai un cadeau pour toi ! Je ne suis pas allée seulement chez Lachaume.

— Ne me dis pas que tu es allée au Marché aux Puces habillée ainsi ?

— Qui a parlé des Puces ? Je me suis rendue à Neuilly dire bonjour à Henri Hartmann…

— Tu es malade ? gémit Aldo tout de suite inquiet.

— Mais non : enceinte ! Je t’ai dit que je te rapportais quelque chose. Eh bien voilà : tu auras un nouveau petit Morosini en septembre !

De joyeuses exclamations saluèrent la nouvelle. Seul Aldo ne dit rien sinon :

— Tu en es sûre ?

— Absolument ! Et ne t’en prends qu’à toi : cela date du carnaval. Le bal chez les Brandolini, tu te souviens ?

Oh, oui, il s’en souvenait de ce magnifique bal de la Mer où sa Lisa déguisée en sirène avec une étoile de mer en corail et des fils de perles dans ses longs cheveux répandus sur les épaules avait dansé presque toute la soirée – et à tour de rôle ! – avec deux tritons musclés qui avaient eu le don d’exaspérer son époux déguisé en lui-même, c’est-à-dire en habit avec un domino vert de mer cousu d’algues en rubans. S’en était suivie une mémorable scène de ménage qui s’était muée peu à peu en une réconciliation torride car Lisa était vraiment irrésistible ce soir-là.

— Pourquoi ne dois-je m’en prendre qu’à moi ? fit-il vexé. Il me semble que tu as bien ta part de responsabilité, non ?

— Oh non ! Tu l’as fait exprès ! Tu as même pris la peine de m’en informer afin de me faire tenir tranquille durant quelques mois.

— Moi ? J’ai dit ça ?

— Assurément ! Il est vrai que ton élocution manquait un peu de clarté à cause de tout ce que tu avais bu mais l’intention y était, conclut Lisa en riant.

Elle alla s’asseoir auprès de la marquise tandis que son époux demandait :

— Mais pourquoi Hartmann ? Il est spécialiste des voies digestives et…

— …et président de la société de Gynécologie et d’Obstétrique. En outre je l’aime bien et enfin, si j’étais allée consulter Di Marco chez nous, Venise entière serait déjà au courant. J’ai profité de ce petit voyage pour éclaircir mes doutes.

— C’est merveilleux ! s’écria Aldo qui retrouvait le sourire. Je suis très heureux, mon cœur… mais es-tu certaine qu’il n’y a qu’un bébé ?

Lisa se mit à rire. Elle-même s’était posé la question, sa précédente grossesse ayant abouti à la naissance des jumeaux Antonio et Amelia, les enfants les plus adorables que l’on puisse voir mais qui à deux ans et demi donnaient du fil à retordre à toute la maisonnée et cela depuis qu’ils étaient capables de se déplacer. Le génie inventif de ces deux bambins aux yeux d’azur identiquement casqués d’épaisses boucles brunes, s’annonçait exceptionnel. Tout comme leur gentillesse et leur franchise car il ne leur serait jamais venu à l’esprit de dissimuler quoi que ce soit des sottises dont ils étaient plutôt fiers. En outre, ils étaient si affectueux que l’exercice de l’autorité parentale avait toujours quelque chose de surhumain. Bref ils étaient aussi adorables qu’invivables et l’idée d’un nouvel exemplaire du duo avait de quoi faire réfléchir.

— On ne peut jamais jurer de rien, assura Lisa, mais selon Hartmann ce serait surprenant.

— Ah voilà qui me rassure ! Que faisons-nous à présent ?

— Je propose de passer à table, gémit Madame de Sommières. Il est tard et Eulalie va nous faire la tête pendant trois jours si nous gâchons sa cuisine !

Le déjeuner fut très gai. On but à la santé de celui ou celle qui allait venir. Aldo était enchanté. Jadis il avait un peu souffert d’être enfant unique, comme elle-même et la perspective de fonder une nombreuse famille lui plaisait comme lui plaisait l’idée de se changer un jour en patriarche. Il en oubliait même les énigmatiques joyaux de Madame d’Ostel et ce fut Marie-Angéline qui les ramena sur le tapis en lui demandant ce qu’il avait l’intention de faire après sa visite à Maître Bernardeau si celui-ci ne lui apprenait rien de nouveau.

— Au fait c’est vrai, s’écria Lisa. Tu es allé voir ces gens ce matin ? C’était intéressant ?

— Plus que cela ! Une espèce d’énigme en peinture. Des joyaux superbes reproduits par Boldini et dont, cependant, personne n’a l’air de savoir où ils sont passés. Quant à moi, je sais que je les ai vus quelque part mais je suis incapable de me rappeler où. Je vieillis, mon cœur ! C’est inquiétant ! ajouta-t-il avec un sourire contrit à l’adresse de sa femme. J’aimerais bien savoir pourtant : cela rendrait service à une pauvre jeune femme qui risque de se voir déposséder d’un héritage, assez modeste d’ailleurs, mais qui l’enchante !

Les yeux de Lisa se mirent à pétiller de malice :

— Une belle énigme et une pauvre jeune femme en détresse ! Tout ce que tu aimes ! Va voir Boldini et demande-lui ce qu’il en pense ? S’il les a peints, il a dû les voir, ces cailloux fascinants.

— J’y pensais. Il habite toujours Paris j’espère ?

— Plus que jamais ! répondit la marquise. Il est même en train de se marier !

— À… quatre-vingts ans ? fit Aldo suffoqué. Vous êtes sûre ?

— Le Figaro lui en est sûr ! Et puis pourquoi pas ? Il n’y a pas d’âge pour être heureux.

— À propos, reprit Lisa, ils ressemblent à quoi ces bijoux ?

— Une croix et deux pendants d’oreilles. Je vais essayer de les esquisser, fit Morosini. Vous devez certainement avoir une feuille de papier et un crayon, Angelina ? Vous qui dessinez comme Dürer !

Le compliment fit plaisir, surtout assaisonné de son prénom ainsi italianisé, ce qui l’enchantait.

— J’ai même mieux !

Elle sortit et revint au bout d’un instant pour tendre à Aldo une reproduction parfaite – et en couleurs ! – de la parure.

— Pourquoi ne me l’avez-vous pas montrée tout de suite ? dit Aldo surpris.

— Je préférais que vous les voyiez sur le portrait. Et aussi que vous rencontriez la pauvre Violaine !

— Quel nom romantique, fit Lisa mi-figue mi-raisin. Et ça lui va ?

— Pas mal ! riposta son mari désinvolte. Beaucoup mieux en tout cas que la jalousie à une femme aussi éclatante que toi ! Tiens, regarde !

Les connaissances en pierres historiques de la jeune femme étaient presque aussi étendues que celles de son époux. Elle baignait d’ailleurs dans les joyaux depuis l’enfance, son père le banquier zurichois Morris Kledermann possédant l’une des plus importantes collections européennes. Elle étudia l’aquarelle puis se mit à rire :

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