Stephen King - La Tour Sombre

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Les retrouvailles du ka-tet de Dix-Neuf auront été de courte durée, car les pistoleros doivent à nouveau se séparer pour accomplir les deux tâches dont dépend le sort de la Tour Sombre : mettre fin à l’ignoble labeur des Briseurs détruisant les Rayons, et sauver l’écrivain Stephen King d’une mort programmée qui les condamnerait inéluctablement. Et ce n’est là qu’un prélude à l’affrontement avec Mordred — monstre hybride enfanté par Mia/Susannah —, le dernier héritier de la lignée d’Eld mais aussi du Roi Cramoisi, lequel n’a pas dit son dernier mot. Pour Roland de Gilead, la Tour est à ce prix… un prix qu’il devra payer de tout son être, pour la survie de tous les mondes.
STEPHEN KING
fait partie de ces écrivains qu’il n’est plus besoin de présenter.
autant de romans — et souvent de films — mondialement célèbres. Mais rien ne compte plus à ses yeux que le cycle de
son Grand Œuvre, une saga-fleuve monumentale dont il entama l’écriture alors qu’il était encore étudiant, et qui connaît enfin sa conclusion aujourd’hui.

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Très bien. Pas génial, pas la solution idéale, mais au moins elle était toujours en vie, et c’était déjà du pur bonheur.

Et le fait que toute la fine équipe de Sayre soit éliminée ou en cavale ? Pas mal, ça aussi.

Susannah balança l’arme de Scowther et en choisit une autre, un Walther PPK, cette fois-ci. Elle l’extirpa du croc de débardeur de Straw, puis lui fit les poches, y dénichant une demi-douzaine de chargeurs supplémentaires. Elle songea une seconde à ajouter le sabre électrique du vampire à son arsenal, puis décida de le laisser là où il était. Mieux valait se servir des outils qu’elle maîtrisait.

Elle tenta d’entrer en contact avec Jake, mais elle ne s’entendait plus penser, aussi se tourna-t-elle vers le robot.

— Hé, mon vieux ! Fais-moi taire cette foutue sirène, qu’est-ce que tu en dis ?

Elle ne savait absolument pas si elle obtiendrait le moindre résultat, mais le fait est que ça fonctionna. Le silence qui suivit fut immédiat et délicieux, il avait la texture sensuelle de la soie moirée. Le silence pourrait lui être utile. Si elle devait essuyer une contre-attaque, au moins les entendrait-elle arriver. La vérité, la vérité dans toute son horreur ? Elle souhaitait qu’il y ait une contre-attaque, elle voulait qu’ils viennent, aussi insensé que ça pût paraître. Elle avait une arme et le sang chaud. C’était tout ce qui comptait.

(Jake ! Jake, tu m’entends, gamin ? Si tu m’entends, réponds à ta grande sœurette !)

Rien. Pas même l’écho lointain d’une fusillade. Il était hors d’att…

Puis un mot, un seul — était-ce seulement un mot ?

(wimebawoué)

Plus important encore : était-ce seulement Jake ?

Elle ne pouvait en être certaine, mais elle avait tendance à croire que oui. Et ce mot lui paraissait familier, bizarrement.

Susannah se concentra du mieux qu’elle put, essayant d’appeler plus fort, cette fois-ci, et c’est alors qu’il lui vint une idée étrange, trop puissante même pour être qualifiée d’intuition. Jake essayait de faire le moins de bruit possible. Il se… cachait ? Peut-être s’apprêtait-il à tendre une embuscade ? L’idée paraissait grotesque, mais peut-être qu’il avait un coup de sang, lui aussi. Elle n’en savait rien, mais elle se dit que, ou bien il lui avait envoyé exprès ce mot farfelu

(wimebawoué)

ou bien il lui avait échappé. Quoi qu’il en soit, mieux valait sans doute laisser le gosse vivre un peu sa vie.

— Je dis, je suis aveugle, blessé par balle ! insista le robot.

Il parlait toujours fort, mais l’intonation s’était un peu rapprochée de la normale.

— Je ne vois rien du tout, que diable, et j’ai cette couveuse…

— Lâche l’affaire, fit Susannah.

— Mais…

— J’ai dit lâche l’affaire, mon poteau.

— Je vous demande bien pardon, madame, mais mon nom est Nigel le Majordome, et je ne vois vraiment pas…

Pendant cette petite conversation, Susannah s’était rapprochée en rampant — pourquoi négliger les bons vieux moyens de locomotion, sous prétexte qu’on s’était vu offrir des petites vacances avec des jambes — et put déchiffrer le nom et le numéro de série imprimés sur le ventre du robot d’acier chromé.

— Nigel DNK 45932, lâche-moi cette putain de boîte en verre, grand merci !

Le robot (affublé du label DOMESTIQUE, juste en dessous de son numéro) lâcha l’incubateur et se mit à geindre dès que la boîte explosa à ses pieds métalliques.

Susannah se tracta jusqu’à lui et dut vaincre une pointe d’appréhension pour réussir à saisir la main à trois doigts de fer. Elle dut se rappeler que ce n’était pas là Andy de Calla Bryn Sturgis, et que Nigel ne pouvait connaître Andy. Peut-être ce robot-majordome était-il assez sophistiqué pour aspirer à la vengeance — c’était en tout cas clairement le cas d’Andy — mais on ne pouvait aspirer à ce qu’on ne concevait même pas.

En tout cas, elle l’espérait.

— Nigel, soulève-moi.

Les servomoteurs se mirent à vrombir lorsqu’il s’inclina.

— Non, mon chou, il faut que tu avances un peu plus. Il y a des éclats de verre, là où tu es.

— Pardonnez-moi, madame, mais je suis aveugle. Et je crois bien que c’est vous qui m’avez tiré dans les yeux.

Oh. Ce petit détail.

— Eh bien, s’exclama-t-elle en tentant de camoufler sa peur sous une irritation feinte, je ne vois pas comment je pourrais te les réparer si tu ne me soulèves pas, n’est-ce pas ? Maintenant agite-toi un peu, si cela te sied. Le temps file.

Nigel s’avança, écrasant le verre brisé sous ses pieds, et se dirigea vers la voix. Susannah résista au mouvement de recul qui lui vint instinctivement, et constata dès qu’il la saisit que le Robot Domestique avait des manières très douces. Il la souleva dans ses bras.

— Maintenant, emmène-moi jusqu’à la porte.

— Madame, je vous demande pardon, mais il y a un grand nombre de portes en Seize. Et plus encore sous le château.

Susannah ne put contenir sa curiosité.

— Combien ?

Il marqua une courte pause.

— Je dirais qu’il en reste cinq cent quatre-vingt-quinze en état de fonctionner.

Elle remarqua instantanément que cinq cent quatre-vingt-quinze pouvait se réduire à dix-neuf. Se réduire à voll.

— Ça t’embêterait de me porter jusqu’à celle par laquelle je suis entrée, avant le début de la fusillade ? demanda la jeune femme en désignant l’extrémité de la pièce.

— Non, madame, cela ne me dérangerait pas du tout, mais j’ai le regret de vous apprendre que cela ne vous apportera rien de bon, répondit Nigel de son ton snob. Cette porte, la NEW YORK # 7/FEDIC, est à sens unique.

Nouvelle pause. Des relais se mirent à cliqueter dans le dôme chromé de sa tête.

— En outre, elle a brûlé, après la dernière utilisation. Comme vous le diriez peut-être, elle est allée dans la clairière au bout du sentier.

— Oh, voilà qui est magnifique ! s’écria Susannah, en se rendant cependant compte que le rapport de Nigel ne la surprenait pas outre mesure.

Elle se remémora le bourdonnement infernal qu’elle avait entendu juste avant que Sayre la pousse violemment de l’autre côté, elle se rappela s’être dit, même dans son état de détresse, que cette chose était mourante. Et effectivement, elle était morte.

Magnifique, vraiment !

— Je vous sens contrariée, madame.

— Je veux, mon neveu, que je suis contrariée ! C’était déjà assez compliqué que cette foutue porte soit à sens unique ! Et maintenant elle est définitivement fermée !

— Il ne reste que la suppléante, fit Nigel.

— La suppléante ? De quelle suppléante tu parles ?

— Je parle de la NEW YORK #9/FEDIC. Il fut un temps où on comptait plus de trente portes à sens unique New York-Fedic, mais je crois que la #9 est la seule encore valide. Toutes les fonctions de la NEW YORK #7/FEDIC ont dû être reportées sur la #9.

Voll, se dit-elle… pria-t-elle. Il parle de voll, je crois. Ô mon Dieu, j’espère ne pas me tromper.

— Tu veux parler de mots de passe, de ce genre de choses, Nigel ?

— Eh bien, oui, madame.

— Emmène-moi à la porte #9.

— Comme vous voudrez.

Nigel remonta vivement l’allée centrale, au milieu des centaines de lits vides dont les draps blancs et raides scintillaient sous les plafonniers étincelants. L’imaginaire de Susannah se peupla un instant d’enfants hurlants et terrorisés, fraîchement débarqués de Calla Bryn Sturgis, et peut-être aussi des autres Callas. Elle vit non pas une seule infirmière à tête de rat, mais des bataillons entiers d’infirmières, impatientes de planter ces casques dans le crâne des enfants kidnappés et d’entamer la procédure qui… qui quoi ? Qui les anéantissait. Qui aspirait leur intelligence et détraquait leurs hormones de croissance, les détruisant à tout jamais. Susannah se dit qu’au départ la douce voix qu’ils entendaient dans leur tête devait leur remonter le moral, cette voix si accueillante, qui les faisait entrer dans le monde merveilleux de North Central Positronics et du Groupe Sombra. Ils devaient s’arrêter de pleurer, et leurs yeux se remplir d’espoir. Ils se disaient peut-être même que ces infirmières en uniformes blancs étaient gentilles, malgré leurs visages poilus et effrayants et leurs crocs jaunes. Aussi gentilles que la voix de la dame dans leur tête.

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