Jim Butcher - Dans l'oeil du cyclone

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Ma bouche se dessécha alors que je réfléchissais à la nuit qui pouvait suivre. On ne sait jamais. Elle m’avait retourné en me faisant passer pour un idiot et elle allait sûrement utiliser tous les trucs possibles et imaginables afin de m’arracher des tuyaux inédits pour l’édition du lundi de ses Arcanes. D’un autre coté, elle était belle, futée et un brin attirée par moi.

Toutes les conditions étaient réunies pour qu’on fasse plus que parler et dîner, non ?

Une question se posait : est-ce que je voulais vraiment que ça arrive ?

Depuis l’échec de ma première relation, j’avais raté toutes mes histoires sentimentales.

Ne vous méprenez pas, beaucoup d’adolescents foirent leurs premières relations.

Rares sont ceux qui assassinent la fille concernée.

J’abandonnai le sujet pour éviter de réveiller trop de mauvais souvenirs.

Je quittai le McAnany avec un doggy bag – un présent de la part de Mac, qui grogna : « Mister » pour seule explication. La partie d’échecs continuait dans le doux brouillard odorant dégagé par les pipes des joueurs.

Tout en me dirigeant vers ma voiture, j’essayai de prévoir ma soirée avec Susan. Devais-je faire le ménage dans mon appartement ? Avais-je tout ce qu’il me fallait pour lancer mon sort à la propriété des Sells ? Murphy sauterait-elle au plafond en apprenant que j’avais parlé à Bianca ?

En ouvrant la portière de ma voiture, je sentais toujours le baiser de Susan.

Je secouai la tête, ahuri. On dit que les magiciens sont subtils. Croyez-moi, les femmes n’ont rien à nous envier.

Chapitre 6

Aucune trace de Mister quand je suis rentré. Je lui laissai quand même les restes du McAnany dans sa gamelle, à tout hasard. Il finirait bien par me pardonner d’être revenu aussi tard. Dans la cuisine, je ramassai tout ce dont j’allais avoir besoin : du pain frais sans conservateurs, du miel, du lait, une pomme du jour, un couteau d’argent, une petite assiette, un bol et une coupe en tek que j’avais façonnée moi-même.

Je retournai à ma voiture. Ma Coccinelle n’était plus vraiment bleue. On avait pillé des clones à elle pour remplacer la portière gauche, maintenant verte, et la portière droite, d’un blanc immaculé. Le coffre, lui, provenait d’un modèle rouge. Mais cette caisse roule, et c’est le principal. Mike est un garagiste génial. Il n’a jamais rien dit au sujet des traces de brûlures sur le pare-chocs avant ni à propos des portières déchiquetées par des griffes. Ce genre de service n’a pas de prix…

J’empruntai l’autoroute 94, du côté du lac Michigan, et traversai un bout de l’Indiana avant de franchir la frontière du Michigan. Providence est une communauté bourgeoise composée de vastes demeures et de grandes propriétés. Habiter ici n’est pas à la portée de toutes les bourses. Victor Sells devait bien gagner sa vie chez Silverco pour se payer un pied-à-terre dans le coin.

La route séparant les demeures du lac serpentait entre les grands arbres et les petites collines. Toutes les bâtisses étaient isolées les unes des autres, et seule la maison des Sells se dressait sur la gauche, du côté de la berge. Je remontai la promenade gravillonnée bien ombragée menant à une presqu’île juste assez grande pour abriter la maison et un petit quai inoccupé. Comparée aux critères de la région, la maison à un étage était petite, mais son architecture à base de verre et de bois synthétique poli était très moderne. Le chemin finissait dans une allée située à l’arrière, assez large pour accueillir une dizaine de joueurs de basket autour du panneau fixé dans le mur du fond. Un escalier de bois donnait sur une terrasse, à l’étage.

Je me garai derrière et j’étirai mes jambes en sortant de la voiture, mon matériel et mes ingrédients rassemblés dans un sac à dos noir. Il faisait froid à cause de la brise qui montait du lac, et je m’emmitouflai dans mon vieux manteau.

La première impression étant très importante, je ne voulais rien rater de ce que mon intuition pouvait tirer de la maison. Je m’arrêtai un long moment pour la regarder.

Mon instinct devait encore penser à la bonne ale de McAnany , car il ne me souffla rien de transcendant sur cette petite baraque cossue où une famille avait passé pas mal de vacances. Bon, quand le flair s’endort, l’intelligence doit se réveiller. Tout était neuf. La pelouse n’avait pas poussé assez pendant l’hiver pour qu’un coup de tondeuse soit nécessaire, et le panier de basket montrait les signes d’un usage régulier. Les rideaux étaient tirés.

Sous le balcon, un éclat rouge attira mon attention, et j’allai jeter un coup d’œil. Un tube bordeaux avec un couvercle gris censé contenir un rouleau de film avant expédition chez le développeur. J’en utilisais pour transporter des tas de composants. J’empochai l’objet et continuai mon inspection.

La maison n’avait rien d’une résidence secondaire. Elle ressemblait plutôt au nid d’amour d’un richard, un refuge à l’abri des regards indiscrets – ou l’endroit idéal pour un sorcier débutant qui veut affiner ses talents naissants sans craindre d’être interrompu. Victor Sells avait choisi le bon coin pour s’exercer.

Je fis un rapide tour du propriétaire en essayant toutes les portes, même celle de la terrasse qui semblait donner sur une salle à manger. Fermées. Les serrures ne posaient pas de problème, mais Monica Sells m’avait autorisé à renifler autour de la maison, pas à l’intérieur. Rien de tel pour s’attirer le mauvais œil que d’entrer chez quelqu’un sans y être invite. C’est en partie pour ça que les vampires ne peuvent pas franchir un seuil, car ils ont déjà assez de mal a maintenir leur intégrité physique en dehors de l’Outremonde. Pour un magicien comme moi, pas de problème, mais j’aurais eu beaucoup de mal à utiliser la magie. En plus, ça aurait été très impoli. Je l’ai déjà dit, je suis très à cheval sur les convenances.

Il faut bien avouer que le panneau de contrôle de Tektronic Sécurité aperçu par la fenêtre avait influencé ma décision. J’aurais très bien pu le neutraliser avec un sortilège, mais beaucoup de systèmes ont tendance à alerter le centre d’appels quand ils arrêtent de fonctionner. De toute manière, ça n’aurait pas servi à grand-chose, parce que les véritables indices devaient se trouver ailleurs.

Pourtant, quelque chose me tracassait. Cette maison n’avait pas l’air vide. À tout hasard, je frappai plusieurs fois à la porte, puis je sonnai. En vain. Personne ne vint ouvrir et aucune lumière ne s’alluma. Haussant les épaules, je retournai derrière en longeant quelques poubelles vides.

Bizarre… Il m’aurait paru logique de trouver au moins un petit quelque chose dans ces poubelles, même si la maison était inoccupée depuis un moment. On n’allait pas me faire croire que les éboueurs remontaient toute l’allée pour ramasser les ordures. Si les Sells passaient leurs week-ends ici et ils voulaient se débarrasser de leurs déchets, ils devaient sûrement les déposer au bord de la route en partant. Les éboueurs devaient aussi y laisser les poubelles. Ça signifiait que quelqu’un les avait ramenées.

Ce n’était pas forcément Victor Sells, mais peut-être un voisin… Ou Victor laissait-il un pourboire pour que les boueux s’en chargent à sa place ? Quoi qu’il en soit, c’était une piste à creuser. La maison avait peut-être servi cette semaine.

Je me dirigeai vers le lac. Dans la nuit claire, un petit vent frais faisait craquer les arbres. Il était encore trop tôt pour s’inquiéter des moustiques. La lune était presque pleine et seuls quelques nuages la masquaient comme autant de voiles fuligineux.

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