Elle attendit trois secondes, frappa dans ses mains et s’écria :
— Tous au travail, alors, les enfants !
Durant le bref intervalle de temps qui lui restait avant l’arrivée de la nouvelle vague de sénateurs, de ministres et de conseillers, elle se tourna vers le mur nu qui se trouvait derrière elle, leva l’index en direction du plafond, et secoua le bras.
Elle se retourna juste à temps pour accueillir la nouvelle fournée de personnalités.
Sol, le consul, le père Duré et Het Masteen, ce dernier toujours inconscient, se trouvaient dans le premier Tombeau du Temps lorsqu’ils entendirent les coups de feu. Le consul sortit seul, lentement, avec prudence, mesurant sur ses appareils les effets des tempêtes anentropiques qui les avaient chassés au plus profond de la vallée.
— Tout va bien ! cria-t-il.
La pâle lueur de la lanterne de Sol éclairait le fond de la caverne, illuminant les trois visages blêmes et la forme emmitouflée du Templier.
— Les marées du temps se sont calmées, ajouta le consul. Vous pouvez venir.
Sol se leva. Le visage du bébé formait un ovale pâle au-dessous du sien.
— Vous êtes sûr que les détonations venaient de l’arme de Brawne ? demanda-t-il.
Le consul fit un geste vague englobant les ténèbres extérieures.
— Aucun de nous ne possède une arme de ce genre. Mais je vais sortir jeter un coup d’œil.
— Attendez, lui dit Sol. Je vous accompagne.
Le père Duré était à genoux aux côtés de Masteen.
— Allez-y, murmura-t-il. Je reste avec lui.
— L’un de nous reviendra voir si tout va bien dans quelques minutes, lui promit le consul.
La vallée luisait sous la faible luminescence des Tombeaux du Temps. Le vent du sud hurlait de manière sinistre, mais il soufflait plus haut, cette nuit, au-dessus des falaises, et les dunes n’étaient pas affectées. Sol suivit le consul sur le sentier tortueux qui descendait au fond de la vallée et obliquait ensuite vers le col. Quelques rafales rappelaient la violence des tempêtes précédentes, mais elles étaient de moins en moins nombreuses.
Là où le sentier commençait à s’élargir, Sol et le consul dépassèrent le champ de bataille à moitié vitrifié qui entourait le Monolithe de Cristal, dont la haute structure émettait un éclat laiteux reflété par les innombrables échardes qui jonchaient le lit de l’arroyo. Grimpant derrière le Tombeau de Jade à la phosphorescence pâle, ils obliquèrent dans la direction du Sphinx.
— Mon Dieu ! s’exclama Sol d’une voix rauque.
Il se précipita en avant, essayant de ne pas trop secouer le bébé dans son support. Il s’agenouilla devant la silhouette sombre qui gisait sur la dernière marche.
— Brawne ? demanda le consul en s’arrêtant deux marches plus bas, haletant.
— Oui.
Sol avait commencé à lui relever la tête. Il retira précipitamment sa main au contact de quelque chose de lisse et de tiède qui sortait du crâne.
— Elle est morte ?
Serrant la tête de sa fille contre sa poitrine, Sol chercha une pulsation au niveau de la carotide.
— Non, dit-il en prenant une profonde inspiration. Elle vit, mais elle est inconsciente. Donnez-moi un peu de lumière.
Il prit la lampe que lui tendait le consul et éclaira Lamia. Il suivit le cordon d’argent – peut-être « tentacule » correspondait-il mieux à la réalité, car cela avait un aspect de chair évoquant une origine organique – qui partait de l’orifice de dérivation neurale de son crâne pour pénétrer dans le Sphinx par la porte ouverte en haut des marches. Tout l’édifice irradiait une lumière brillante, plus brillante que celle des autres Tombeaux, mais l’entrée elle-même était plongée dans l’ombre.
— Qu’y a-t-il ? demanda le consul en s’approchant.
Il tendit la main pour toucher le cordon d’argent, et la retira aussi vivement que l’avait fait Sol.
— Mon Dieu ! C’est chaud !
— On dirait que c’est vivant, reconnut Sol.
Il était en train de frictionner les mains de Brawne. Il lui donna quelques tapes sur les joues pour essayer de la faire revenir à elle. Elle n’eut aucune réaction. Il suivit le cordon avec sa lampe, jusqu’à l’endroit où il se perdait dans l’entrée du Sphinx.
— Je ne crois pas qu’elle se soit attaché ça volontairement, dit-il.
— Le gritche, fit le consul.
Il se pencha plus près pour activer l’affichage des biomoniteurs sur le persoc du poignet de Brawne.
— Tout est normal, excepté les ondes cérébrales, murmura-t-il.
— Que disent-elles ?
— Elles disent qu’elle est morte. Mort cérébrale au moins. Aucune autre fonction supérieure en évidence.
Sol soupira. Il oscilla quelques instants d’avant en arrière sur ses talons.
— Il faut absolument que nous sachions où va ce câble, dit-il.
— On ne pourrait pas le débrancher de l’orifice de dérivation ?
— Regardez, lui dit Sol.
Il fit jouer le faisceau de la lampe sur la nuque de Brawne, soulevant une masse de boucles noires pour dégager l’orifice. Celui-ci, qui se présentait normalement sous la forme d’un petit disque de plaschair de quelques millimètres de large avec un embout de dix microns, donnait l’impression d’avoir fondu. La chair formait une crête rouge soudée à l’extrémité du câble.
— Il faudrait un chirurgien pour lui retirer ça, murmura le consul.
Il toucha prudemment la crête de chair. Brawne ne bougea pas. Il orienta le faisceau de sa lampe vers l’entrée du Sphinx.
— Restez avec elle, dit-il. Je vais voir où ça va.
— Servez-vous du communicateur, suggéra Sol.
Il ne se faisait cependant pas trop d’illusions sur l’efficacité de leurs moyens de liaison pendant les périodes d’activité des marées du temps.
Le consul hocha la tête. Il s’éloigna rapidement, avant que la peur ne le fasse changer d’avis.
Le serpent de chrome suivait le corridor principal. Il disparaissait après l’entrée de la pièce où les pèlerins avaient dormi la nuit précédente. Le consul jeta un coup d’œil à l’intérieur en passant. Sa lampe éclaira les couvertures et les paquetages qu’ils avaient laissés derrière eux dans leur précipitation.
Il suivit le câble au détour du couloir, dans le passage central qui donnait sur trois corridors secondaires. Il emprunta un plan incliné vers le haut, puis bifurqua de nouveau sur la droite, jusqu’au passage étroit qu’ils avaient baptisé « Allée du Pharaon » lors de leurs précédentes explorations. Il descendit alors une galerie étroite, où il lui fallut bientôt ramper, en prenant garde de ne pas toucher le tentacule de métal tiède comme de la chair. Il dut ensuite faire l’ascension d’une cheminée inclinée, qui débouchait sur une galerie qu’il ne se rappelait pas avoir visitée précédemment, et où les murs obliques et suintants se rapprochaient pour former une voûte étroite. La galerie descendait ensuite en pente abrupte. Il s’écorcha les mains et les genoux pour ralentir sa descente, et déboucha finalement dans un espace qui semblait bien plus long que le Sphinx vu de l’extérieur. Il était totalement perdu. Il ne pouvait compter que sur le câble pour lui faire retrouver son chemin.
— Sol ! cria-t-il.
Il doutait que le communicateur pût transmettre son appel à travers l’épaisseur des murs et l’obstacle des marées du temps, mais un murmure lui répondit aussitôt.
— Je suis là.
— J’ai suivi le cordon dans les profondeurs de ce foutu labyrinthe. Je me trouve dans une galerie que nous n’avions pas visitée avant. Elle a l’air très grande.
— Vous êtes arrivé à la fin du câble ?
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