Elle est pas aussi barrée qu’avant, se dit Pete, mais elle reste quand même particulière. Et ça lui plaît, finalement.
« Assurez-vous juste que son discours reste relativement décent.
— Comptez sur moi.
— Et puis, hé… il a survécu à Hartsfield. Quoi qu’il lui arrive, il aura toujours ça.
— Nous aurons toujours Paris, mon petit », dit Holly avec l’accent de Bogart.
Oui, elle est particulière. Unique en son genre, à vrai dire.
« Écoutez, Gibney, vous devez aussi prendre soin de vous. Quoi qu’il arrive. Ne vous laissez pas abattre, il détesterait ça.
— Je sais », dit Holly.
Et elle retourne au solarium où elle et Jerome nettoieront les restes de la petite fête d’anniversaire. Elle se dit que ce n’est pas forcément le dernier, et essaye de s’en convaincre. Elle n’y parvient pas totalement, mais tant qu’il y a Holly, il y a de l’espoir.
Quand Jerome arrive à Fairlawn, deux jours après les obsèques et à dix heures tapantes comme promis, Holly est déjà là, à genoux au pied de la tombe. Elle n’est pas en train de prier ; elle plante un chrysanthème. Elle ne lève pas la tête quand l’ombre de Jerome se projette sur elle. Elle sait que c’est lui. C’est ce qu’ils ont convenu quand elle lui a confié ne pas être sûre de tenir jusqu’à la fin de l’enterrement. « J’essaierai, avait-elle dit, mais je suis pas douée pour ces toufues cérémonies. Il se peut que je m’échappe. »
« Ça se plante en automne, dit-elle à présent. Je ne connais pas grand-chose aux plantes alors j’ai acheté un guide pratique. Le style est moyen-moyen mais les instructions sont faciles à suivre.
— C’est bien. »
Jerome s’assoit en tailleur sur l’herbe, au bout de la petite concession.
Holly ramène soigneusement de la terre avec ses mains en coupe, toujours sans regarder Jerome.
« Je t’avais dit que je risquais de m’échapper. Tout le monde m’a regardée quand je suis partie mais je ne pouvais tout simplement pas rester. Si j’étais restée, on m’aurait demandé de m’avancer devant le cercueil et de parler de lui et j’en étais incapable. Pas devant tous ces gens. Je parie que sa fille m’en veut.
— Sans doute que non, dit Jerome.
— Je déteste les enterrements. Tu sais que la première fois que je suis venue ici, c’était pour un enterrement ? »
Jerome le sait mais ne dit rien. La laisse simplement terminer.
« Celui de ma tante. C’était la mère d’Olivia Trelawney. C’est là que j’ai rencontré Bill, à l’enterrement. Là aussi, je m’étais échappée. J’étais assise derrière le funérarium, je fumais une cigarette. J’étais pas bien du tout, et c’est là qu’il m’a trouvée. Tu comprends ? » Elle lève enfin les yeux vers Jerome. « Il m’a trouvée .
— Je comprends, Holly. Je comprends.
— Il m’a ouvert la porte. Une porte sur le monde. Il m’a confié une tâche qui a fait toute la différence.
— Pareil pour moi. »
Elle s’essuie les yeux presque avec colère.
« Crotte, c’est tellement tout nul tout ça.
— C’est clair. Mais il ne voudrait pas que t’abandonnes maintenant. C’est la dernière chose qu’il voudrait.
— J’abandonnerai pas, dit-elle. Tu sais qu’il m’a laissé l’agence ? L’argent de l’assurance et tout le reste est revenu à Allie, mais l’agence est à moi. Je ne peux pas la faire tourner toute seule, alors j’ai demandé à Pete s’il voulait bien travailler pour moi. À mi-temps.
— Et qu’est-ce qu’il a dit ?
— Il a dit oui, parce que la retraite, ça craint déjà. Ça devrait aller. Je traquerai les suspects en fuite et les mauvais payeurs sur mon ordi et il se chargera de les arrêter. Ou de remettre des assignations à comparaître si on nous le demande. Mais ça ne sera pas comme avant. Travailler pour Bill… travailler avec Bill… ce furent les jours les plus heureux de ma vie. » Elle considère ce qu’elle vient de dire. « Les seuls jours heureux de ma vie, en fait. Je me sentais… je ne sais pas…
— Estimée ? suggère Jerome.
— Oui ! Estimée.
— Et tu avais bien raison, dit Jerome, parce que tu étais d’une inestimable valeur. Et tu l’es toujours. »
Elle jette un dernier coup d’œil critique à la plante, nettoie la terre sur ses mains et sur ses genoux et s’assoit à côté de lui.
« Il a été courageux, hein ? À la fin, je veux dire.
— Oui.
— Ouaip. » Elle sourit un peu. « C’est ce que Bill aurait dit. Pas ouais, mais ouaip .
— Ouaip, acquiesce Jerome.
— Dis, Jerome ? Tu veux bien mettre ton bras autour de moi ? »
Ce qu’il fait.
« La première fois que je t’ai rencontré — quand on a trouvé le programme caché que Brady avait installé sur l’ordinateur d’Olivia —, j’ai eu peur de toi.
— Je sais, dit Jerome.
— Pas parce que tu étais noir…
— Le noir c’est l’espoir, dit Jerome en souriant. Je crois qu’on a été d’accord là-dessus dès le début.
— … mais parce que tu étais un inconnu. Tu venais de l’ extérieur . J’avais peur des gens et des choses qui venaient de l’extérieur. C’est toujours le cas, mais pas autant qu’avant.
— Je sais.
— Je l’aimais », dit Holly, le regard posé sur le chrysanthème. Il est d’un rouge orangé éclatant au pied de la stèle grise qui porte un simple message : KERMIT WILLIAM HODGES, et, sous les dates : FIN DE RONDE. « Je l’aimais tellement.
— Ouais, dit Jerome. Moi aussi. »
Elle lève les yeux vers lui, l’air timide et suppliant ; sous la frange grisonnante, on dirait presque un visage d’enfant.
« Tu seras toujours mon ami, hein ?
— Toujours. »
Il étreint ses épaules, des épaules frêles à vous fendre le cœur. Au cours des deux derniers mois de la vie de Hodges, elle a perdu cinq kilos qu’elle n’avait pas besoin de perdre. Il sait que sa mère et Barbara attendent de pouvoir la remplumer.
« Toujours, Holly.
— Je sais, dit-elle.
— Alors pourquoi tu demandes ?
— Parce que c’est si bon de te l’entendre dire. »
Fin de ronde, pense Jerome. Il n’aime pas la formule, mais elle est juste. Elle est juste. Et tout ça est mieux que l’enterrement. Être là avec Holly par ce matin ensoleillé de fin d’été, c’est bien mieux.
« Jerome ? Je ne fume pas.
— C’est bien. »
Ils restent silencieux un petit moment, à regarder le chrysanthème flamboyer de toutes ses couleurs au pied de la stèle.
« Jerome ?
— Oui, Holly ?
– Ça te dirait d’aller au cinéma avec moi ?
— Oui, dit-il, puis il se corrige. Ouaip .
— On laissera un siège vide entre nous. Juste pour poser notre pop-corn.
— OK.
— Parce que je déteste le poser par terre, où il y a sûrement des cafards, et peut-être même des rats.
— Moi aussi je déteste ça. Qu’est-ce que tu veux aller voir ?
— Quelque chose qui nous fera rire rire rire.
– Ça me va. »
Il lui sourit. Holly lui rend son sourire. Ils quittent Fairlawn et rejoignent le monde extérieur ensemble.
30 août 2015
Merci à Nan Graham, qui a édité ce livre, et à tous mes amis de Scribner, notamment — mais pas uniquement — Carolyn Reidy, Susan Moldow, Roz Lippel et Katie Monaghan. Merci à Chuck Verrill, mon agent de longue date (important) et ami de longue date (encore plus important). Merci à Chris Lotts, qui a vendu les droits étrangers de ce livre. Merci à Mark Levenfus, qui veille à mes affaires et garde un œil sur la Haven Foundation, chargée d’aider les artistes indépendants traversant des périodes difficiles, et sur la King Foundation, chargée d’aider les écoles, les bibliothèques et les casernes de pompiers des petites villes. Merci à Marsha DeFilippo, ma très compétente assistante personnelle, et à Julie Eugley, qui fait tout ce que Marsha ne fait pas. Je serais perdu sans elles. Merci à mon fils, Owen King, qui a lu le manuscrit et fait des suggestions précieuses. Merci à ma femme, Tabitha, qui a également fait des suggestions précieuses… dont le titre, qui s’est avéré être le bon.
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