C’est parce que j’ai trop en mémoire le souvenir de ces premiers janvier écoulés que les vœux que je forme en ce premier de l’an, mes camarades de la Résistance, je vous les adresse d’une voix plus claire et plus assurée. J’ai vécu, au milieu de vous, bien des jours mauvais et durs ; j’ai connu, en prison ou traqué, les heures troubles où l’on n’a pas trop de toute sa volonté pour conserver son calme et son courage. Et c’est pour ça qu’aujourd’hui, du fond de mon exil, de toute mon âme, de toutes mes forces, je vous dis : “Bonne année, parce que je sais que ce sera la bonne, la grande année. Pour vous toutes et tous, pour les petits surtout, bonne santé, malgré les privations.”
Et puisque la tradition veut qu’au seuil de l’an nouveau on se donne l’accolade, laissez-moi vous embrasser tous, car je crois que l’immense espoir que je porte en moi me donne un cœur assez grand pour pouvoir le faire.
Bonne année, mes chers copains, bonne victoire, et à bientôt. »
10 mai 1944 : au micro de Radio-Paris, Philippe Henriot, éditorialiste au service de la propagande, donc des Allemands, attaque Pierre Dac en évoquant ses origines juives et en rappelant qu’il s’appelle en réalité André Isaac et qu’il est le fils de Salomon et de Berthe Kahn :
« … Dac s’attendrissant sur la France, c’est d’une si énorme cocasserie qu’on voit bien qu’il ne l’a pas fait exprès. Qu’est-ce qu’Isaac, fils de Salomon, peut bien connaître de la France, à part la scène de l’ABC où il s’employait à abêtir un auditoire qui se pâmait à l’écouter ? La France, qu’est-ce que ça peut bien signifier pour lui ?… »
Le lendemain, oubliant le profond sentiment d’écœurement qui l’habite, Pierre Dac lui répond au micro…
BAGATELLE SUR UN TOMBEAU
« M. Henriot s’obstine ; M. Henriot est buté. M. Henriot ne veut pas parler des Allemands. Je l’en ai pourtant prié de toutes les façons : par la chanson, par le texte, rien à faire. Je ne me suis attiré qu’une réponse pas du tout aimable — ce qui est bien étonnant — et qui, par surcroît, ne satisfait en rien notre curiosité. Pas question des Allemands.
C’est entendu, monsieur Henriot, en vertu de votre théorie raciale et national-socialiste, je ne suis pas français. À défaut de croix gammée et de francisque, j’ai corrompu l’esprit de la France avec L’Os à moelle . Je me suis, par la suite, vendu aux Anglais, aux Américains et aux Soviets. Et pendant que j’y étais, et par-dessus le marché, je me suis également vendu aux Chinois. C’est absolument d’accord. Il n’empêche que tout ça ne résout pas la question : la question des Allemands. Nous savons que vous êtes surchargé de travail et que vous ne pouvez pas vous occuper de tout. Mais, tout de même, je suis persuadé que les Français seraient intéressés au plus haut point, si, à vos moments perdus, vous preniez la peine de traiter les problèmes suivants dont nous vous donnons la nomenclature, histoire de faciliter votre tâche et de vous rafraîchir la mémoire :
1. Le problème de la déportation ;
2. Le problème des prisonniers ;
3. Le traitement des prisonniers et des déportés ;
4. Le statut actuel de l’Alsace-Lorraine et l’incorporation des Alsaciens-Lorrains dans l’armée allemande ;
5. Les réquisitions allemandes et la participation des autorités d’occupation dans l’organisation du marché noir ;
6. Le fonctionnement de la Gestapo en territoire français et en particulier les méthodes d’interrogatoire ;
7. Les déclarations du Führer dans Mein Kampf concernant l’anéantissement de la France.
Peut-être me répondrez-vous, monsieur Henriot, que je m’occupe de ce qui ne me regarde pas, et ce disant vous serez logique avec vous-même, puisque dans le laïus que vous m’avez consacré, vous vous écriez notamment : “Mais où nous atteignons les cimes du comique, c’est quand notre Dac prend la défense de la France ! La France, qu’est-ce que cela peut bien signifier pour lui ?”
Eh bien ! Monsieur Henriot, sans vouloir engager de vaine polémique, je vais vous le dire ce que cela signifie, pour moi, la France.
Laissez-moi vous rappeler, en passant, que mes parents, mes grands-parents, mes arrière-grands-parents et d’autres avant eux sont originaires du pays d’Alsace, dont vous avez peut-être, par hasard, entendu parler ; et en particulier de la charmante petite ville de Niederbronn, près de Saverne, dans le Bas-Rhin. C’est un beau pays, l’Alsace, monsieur Henriot, où depuis toujours on sait ce que cela signifie, la France, et aussi ce que cela signifie, l’Allemagne. Des campagnes napoléoniennes en passant par celles de Crimée, d’Algérie, de 1870–1871, de 14–18 jusqu’à ce jour, on a dans ma famille, monsieur Henriot, lourdement payé l’impôt de la souffrance, des larmes et du sang.
Voilà, monsieur Henriot, ce que cela signifie pour moi, la France. Alors, vous, pourquoi ne pas nous dire ce que cela signifie, pour vous, l’Allemagne ?
Un dernier détail : puisque vous avez si complaisamment cité les prénoms de mon père et de ma mère, laissez-moi vous signaler que vous en avez oublié un : celui de mon frère. Je vais vous dire où vous pourrez le trouver ; si, d’aventure, vos pas vous conduisent du côté du cimetière Montparnasse, entrez par la porte de la rue Froidevaux ; tournez à gauche dans l’allée et, à la 6e rangée, arrêtez-vous devant la 8e ou la 10e tombe. C’est là que reposent les restes de ce qui fut un beau, brave et joyeux garçon, fauché par les obus allemands, le 8 octobre 1915, aux attaques de Champagne. C’était mon frère. Sur la simple pierre, sous ses nom, prénoms et le numéro de son régiment, on lit cette simple inscription : “Mort pour la France, à l’âge de 28 ans”. Voilà, monsieur Henriot, ce que cela signifie pour moi, la France.
Sur votre tombe, si toutefois vous en avez une, il y aura aussi une inscription : elle sera ainsi libellée :
PHILIPPE HENRIOT
Mort pour Hitler,
Fusillé par les Français…
Bonne nuit, monsieur Henriot. Et dormez bien. Si vous le pouvez… »
CHANSONS DE LONDRES
LES GARS DE LA VERMINE
SUR L’AIR DES GARS DE LA MARINE (1943)
Quand on est un salaud
Un vrai, un pur, un beau
On se met au service
De la maison Himmler (bis)
Puis on fait le serment
D’obéir total’ment
Quels que soient ses caprices
Aux ordres du Fuhrer (bis)
La croix gammée sur l’œil
On montre avec orgueil
Qu’on est un grand champion
Dans la course à l’abjection
REFRAIN
Voilà les gars de la vermine
Chevaliers de la bassess’
Voilà les Waffen SS
Voyez comme ils ont fière mine
C’est dans le genr’ crapuleux
Ce qui s’fait d’mieux
Avant qu’on ne les extermine
Regardez-les consciencieus’ment
Voilà les gars de la vermine
Du plus p’tit jusqu’au plus grand
Du simple voyou à Darnan
ILS SONT ALLEMANDS
La Complainte de fin d’année
sur l’air de La Romance de Paris (1943)
musique de Charles TRÉNET
Une année finit, l’autre commence,
L’un après l’autre les mois s’avancent
Apportant dans leur cortège bleu
La promesse de jours plus heureux
Et pendant que la Victoir’ s’apprête
À revêtir ses habits de fête
Le voil’ noir des désastres s’étend, oui
Sur le Reich et ses derniers Amis.
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