C’est un peu pour ça que je t’ai choisie, tu sais.
D’abord parce que tu es belle. Décidément, Alex avait bon goût en matière de femmes ! Je dois lui reconnaître ça. Mais ce n’est pas uniquement pour ta féminité et tes charmes que je t’ai choisie. C’est aussi pour l’arme que tu portes à la ceinture.
Un jour, tu t’en serviras. Un jour, tu basculeras. Et je serai là.
Il y aura de la place pour toi, chez moi. Tu pourras prendre celle de Cloé. La merveilleuse Cloé…
Seras-tu à la hauteur ? Sauras-tu la remplacer ?
Tu sais, je ne me remets pas de son départ. Nous sommes restés ensemble de longs mois. Inséparables. Chaque nuit, ou presque, elle était à moi. Rien qu’à moi.
J’ai contemplé la folie à l’œuvre. Fascinante artiste.
Je l’ai vue transformer Cloé, jour après jour. Sculpter son âme, son visage et son corps. L’éroder tel un puissant acide.
Cloé, ma chère Cloé… J’ai cru qu’elle avait renoncé. Mais Cloé ne renonce jamais, tu sais.
Elle m’a impressionné, comment ne pas l’avouer ?
Pas facile de se donner la mort. Surtout quand on a si peu de moyens. Pas de fenêtre par laquelle se jeter. Pas de couteau avec lequel se taillader les veines. Pas de pharmacopée à disposition pour s’empoisonner. Juste les doses pour t’assommer, pour annihiler ta volonté.
Pourtant, Cloé a réussi.
Entre deux rondes, elle a passé un drap autour de son cou, a noué l’autre extrémité à la grille qui ornait la fenêtre.
Et elle s’est agenouillée.
Tu n’imagines pas comme c’est difficile, sans doute. Il ne suffit pas de subir l’étouffement. Il faut l’affronter, jusqu’au bout. Résister à la douleur, ne pas dénouer ce qui t’empêche de respirer, ne pas te relever… Un supplice comme il en existe peu.
Elle a attendu le bon moment. Elle voulait que ce soit moi qui la trouve. Elle avait les yeux ouverts, je l’ai regardée longtemps.
J’ai pleuré, tu sais. Chialé comme un gosse. Des larmes de colère, de rage. Je crois que j’avais mal, aussi. De l’avoir perdue.
Merveilleuse Cloé. Courageuse Cloé… Elle a réussi à me blesser. Mais pas à me tuer.
Dommage pour toi.
Changer les verrous ne sert à rien, mon ange. Me voilà déjà dehors.
Je t’ai préparé une belle surprise pour ton retour. Après ta dure nuit de labeur au service de la loi.
Une surprise qui t’empêchera de trouver le sommeil. De quoi te faire douter. Douter de tout, de tout le monde. Et surtout de toi.
De ta santé mentale.
Bientôt, tu seras prête, mon ange…
L’Ombre se faufile hors de la maison. Aussi discrète qu’un animal sauvage. Aussi insaisissable qu’un souffle d’air.
Les mains dans les poches, sa capuche sur la tête, Quentin sifflote un air d’opéra entendu à la radio. Il jette un coup d’œil rapide, puis s’élance dans la rue déserte.
Il ne remarque pas la voiture garée à quelques dizaines de mètres de là.
Ni l’homme à son bord. Qui le vise avec un zoom surpuissant, immortalisant la scène.
Tu es trop sûr de toi pour me voir, immonde salopard.
Trop sûr de toi pour imaginer que la proie, c’est toi, désormais.
Je ne peux plus rien faire pour Cloé. Mais tu n’auras pas Valentine.
Tes heures sont comptées, tu peux me croire. Bientôt, tu croupiras en taule. À moins qu’ils ne t’enferment dans ton propre asile d’aliénés. Ça me plairait assez, je dois dire !
Mais peu importe. Tu prendras perpète, quoi qu’il en soit.
Même si je ne suis plus sur le terrain, même si je ne suis plus qu’un handicapé qui bosse dans les bureaux, j’ai gardé mon âme de flic.
Il faut dire que j’ai été à bonne école. Formé par le meilleur.
Il s’appelait Alexandre Gomez.
Il me disait toujours : Suis ton instinct, Gamin… Ne perds jamais ta cible de vue .
Alors que j’explorais les frontières de l’autre monde, il ne m’a jamais abandonné.
Chaque jour, il est venu me parler. M’encourager. Me secouer.
Chaque jour, il m’a raconté ses doutes, ses espoirs. Ou ses désespoirs.
Chaque jour aussi, il m’a écrit ce que je ne pouvais entendre. Ce que j’entendais, pourtant.
Et quand je suis revenu d’entre les morts, j’ai trouvé un petit carnet à côté de mon lit. À chacune de ses visites, il y notait mes progrès, mes sursauts, les étapes de mon combat.
Et les avancées de son enquête.
Je connais Cloé, sans jamais l’avoir rencontrée. Je sais ce que tu lui as fait subir, espèce de salaud.
Pour elle, il était trop tard. Mais pour les autres, il est encore temps.
J’ai fait cette promesse à Alexandre.
Je crois qu’il serait fier de moi, aujourd’hui. Fier du gamin que j’étais.
Et de l’homme que je suis devenu.
Je tiens à remercier celles et ceux qui ont accepté avec enthousiasme d’être mes premiers lecteurs : merci à ma mère, tout d’abord, ainsi qu’à Emmanuelle, Philippe et Sylvain, de m’avoir donné leur avis sincère sur ce roman.