— Bonjour, maître Nogalès, dit Kowalski.
Le baveux leur jeta un coup d’œil qui balançait entre le mépris de classe et l’indifférence absolue, puis il regarda son client et fronça les sourcils.
— Ça va ?
— Ça ira mieux quand vous m’aurez sorti d’ici, répondit Lang en levant la tête. Et je compte porter plainte pour humiliation et mauvais traitements.
— Euh…, fit l’avocat après une hésitation, la garde à vue ne fait que commencer, Erik. Je ne peux rien faire avant vingt-quatre heures. Vous avez été informé des charges pesant contre vous ? Vous voulez voir un médecin ? Vous pouvez faire une déclaration, répondre aux questions ou vous taire.
Kowalski se massa la nuque.
— C’est exact, maître, intervint-il. On vous laisse le bureau, ajouta-t-il en verrouillant ses tiroirs et en se levant. Vous avez une demi-heure. Pas une microseconde de plus.
Vingt minutes plus tard, Nogalès ressortait, drapé dans sa dignité et dans les articles du code :
— Mon client clame son innocence, annonça-t-il avec une solennité toute professionnelle. Je suis ici pour vous dire qu’il n’est pour rien dans cette triste affaire et que je serai très vigilant sur la façon dont se passera cette garde à vue. (Il toisa les policiers un par un.) J’espère que vos méthodes ont changé avec ces murs. Vous connaissez ma réputation, messieurs. Je ne vous louperai pas.
— On connaît vos états de service, maître, confirma Ko tranquillement. Et les gens que vous défendez… Comme vous dites : « Tout le monde a le droit d’être défendu. » (Il consulta sa montre.) Votre temps est écoulé. Par ici la sortie, maître.
— OK. Bon, dit Kowalski, l’air aussi détendu que s’il s’apprêtait à profiter d’un barbecue entre amis. Par quoi on commence : par votre emploi du temps la nuit du crime ou par votre mensonge le jour où on est venus vous voir ? À vous de choisir.
Lang était assis face à eux. Aucune expression ne se peignait sur son visage. Kowalski avait les pieds posés sur son bureau, les mains croisées derrière sa nuque, sa chaise en équilibre arrière. La nuit était tombée derrière les vitres.
— Quel mensonge ?
— Luc Rollin, ça te parle ?
Lang tiqua, à cause du tutoiement ou à cause du nom.
— Ça te parle ou pas ?
— Oui…
— Tiens donc. Je croyais que t’avais plus aucun contact avec les sœurs Oesterman depuis un bail, c’est bien ce que tu nous as affirmé dans ton salon, non ?
Lang hésita avant de sourire.
— Zut. On dirait bien que j’ai menti… Mais ça ne fait pas de moi un assassin.
Il avait prononcé ces mots d’un ton goguenard et Servaz entendit Mangin soupirer à côté de lui.
— Tu nous as déjà servi ce couplet, répondit Ko, tranquille. Et je t’ai répondu que ça ne fait pas de toi un innocent non plus.
— On pourrait laisser tomber le tutoiement ? grinça le romancier. On n’est pas encore suffisamment familiers pour ça, inspecteur, j’en ai peur.
— Pourquoi tu as menti ? demanda Kowalski sans tenir compte de la remarque.
Lang leva les yeux au ciel. Il écarta les mains en un geste de feinte contrition.
— Stupide, je sais… Mais je n’avais qu’une envie : c’était de me débarrasser de vous. Si j’avais répondu que j’avais vu Ambre récemment, j’aurais eu droit à une nouvelle salve de questions. J’étais pressé. Comme je n’ai rien à voir avec tout ça, je me suis dit que ça ne portait pas à conséquence de simplifier un peu…
— Simplifier ? Tu n’as pas simplifié, Lang, tu as menti. Et mentir à la police, ça s’appelle un délit.
— Un délit, pas un crime, précisa l’écrivain.
À côté de lui, Servaz entendit de nouveau Mangin expirer. Il tourna la tête et vit que le grand flic tordait ses immenses paluches l’une dans l’autre.
— Tu es toujours resté en contact avec les deux sœurs, c’est bien ça ? demanda Ko patiemment.
Lang eut un geste de dénégation.
— Non, non. Pas du tout. L’été dernier, j’ai reçu une lettre d’Ambre, la première depuis des années. Elle m’expliquait qu’elle allait emménager dans la cité du Ramier et que donc on allait être… voisins , en quelque sorte.
— Cette lettre, tu l’as toujours ?
— Non, je l’ai jetée.
— Pourquoi ?
— Disons que je ne suis pas collectionneur.
— Et tu as répondu ?
— Oui.
Kowalski haussa un sourcil pour l’inviter à poursuivre.
— Elle voulait qu’on se voie. J’ai accepté… On s’est rencontrés dans un café de la route de Narbonne, La Chunga , vous connaissez ?
L’un des repaires des étudiants du secteur, songea Servaz.
— Et… ?
Le débit de Lang se fit plus lent.
— Elle n’avait pas changé… C’était Ambre, toujours la même petite vicieuse, toujours la même sacrée tordue… Ambre, c’était une putain d’allumeuse. Elle adorait jouer avec les hommes, c’était son truc. Et, croyez-moi, elle savait s’y prendre pour faire monter la température. Elle crevait d’envie de baiser, mais elle en était toujours aussi incapable…
Il leur décocha un sourire graveleux.
— Cette fille, ajouta-t-il, c’était une bombe à retardement. Tôt ou tard, il devait lui arriver quelque chose.
— Elle était majeure, dit doucement le chef de groupe en reposant les quatre pieds de sa chaise sur le sol et en se penchant vers Lang, qu’est-ce qui t’empêchait de la niquer ?
Le tutoiement, le ton tout autant que les mots employés avaient clairement pour but de faire sortir l’écrivain de ses gonds. Les paupières de celui-ci s’étrécirent et un regard de serpent fusa par les fentes en direction du flic, puis le sourire revint.
— Vous croyez vraiment que je vais tomber dans un panneau aussi grossier, inspecteur ? Sans déconner ? (Servaz entendit Mangin bouger sur sa chaise.) Ça faisait partie du jeu entre nous : on se chauffait, mais on savait que ça n’irait pas plus loin.
— Ça devait être vachement frustrant, s’immisça Mangin.
Lang lui adressa un sourire mauvais.
— Pour vous peut-être…
L’enquêteur décolla ses fesses de sa chaise mais Kowalski fit pression de la main sur son avant-bras et l’obligea à se rasseoir. Lang se tourna vers le chef de groupe. De mâle dominant à mâle dominant.
— Tu as revu Ambre depuis cette fois-là ?
— Vous le savez bien puisque le copain d’Ambre m’a identifié.
— Vous vous êtes dit quoi ?
— Elle m’avait écrit une lettre où elle m’expliquait qu’elle avait rencontré quelqu’un de gentil qui la respectait. Quelqu’un de gentil … Moi, je savais qu’Ambre n’était pas attirée par les gentils garçons, mais par les bad boys et les tordus. (Il se passa un bout de langue sur la lèvre supérieure.) Dans sa lettre, elle écrivait aussi que… chaque fois que son copain la baisait par la voie étroite, c’est à moi qu’elle pensait… que quand elle lui demandait de poser les mains sur son cou et de serrer, c’est moi qu’elle imaginait en train de l’étrangler, et qu’il avait peur de la gifler mais qu’elle était sûre que moi je n’aurais pas hésité. Alors, quand je l’ai aperçue dans la rue ce jour-là, je l’ai abordée et je lui ai dit de cesser de m’envoyer ses pitoyables fantasmes par voie postale.
Servaz repensa à ce qu’avait dit Luc Rollin : qu’il n’avait jamais touché Ambre .
— Mais en vérité, ça ne te déplaisait pas tant que ça, suggéra Kowalski d’un ton neutre.
Lang eut une moue entendue.
— Ça ne t’a pas énervé de savoir qu’elle avait un copain ?
— Pourquoi ça m’aurait énervé ? Ce type insignifiant ? Vous avez vu sa tronche ?
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