À pas lents je retourne à la cuisine car j’ai repéré un flacon de rhum, comme je vous l’avais annoncé et un coup de gnole c’est encore le meilleur remède contre la G.D.B. C’est violent comme thérapeutique, mais faut avoir le courage de réagir dans certains cas.
Ce rhum-là c’est pas de la pisse d’âne, je vous le dis. On pourrait l’utiliser comme alcool à brûler le cas échéant. Il vous procure ce petit pincement à la gorge et ce coup de masse derrière la nuque que les Polaks recherchent avec tant de persévérance.
Je m’ébroue.
Puis je décide de me mettre à la recherche d’Elia. C’est décidément la patronne escamotable. Elle s’éclipse comme un rêve au chant du coq. M’est avis que son boulot privé est terminé depuis longtemps et qu’elle doit être en train de ronfloter dans sa chambrette.
Afin de m’en assurer je grimpe à l’étage au-dessus, dans la piaule où j’ai coltiné les valoches. Mais la porte n’est pas fermée et la piaule est vide. La chambre qui lui fait face itou.
Je redescends. Pas d’erreur, elle s’est trissée, Elia. Bon, cette fois j’ai compris, au lieu de me lancer à sa recherche je vais l’attendre en peinard… Le temps qu’il faudra.
Seulement, pour cela, j’ai besoin de fumer : or, mes sèches sont restées dans la niche du tableau de bord de la voiture.
Je sors les chercher. La nuit est épaisse comme de la mélasse. Pas d’étoiles et pas de lune… À quelques mètres, la mer déferle sur la grève en mugissant.
Un vent aigre me mord les joues.
Je me dirige jusqu’à l’auto, j’ouvre la portière ce qui déclenche automatiquement le plafonnier. Je cramponne mes cigarettes et je m’apprête à redescendre lorsque mon regard est sollicité par un étrange spectacle. Ce spectacle s’offre à l’extérieur. C’est grâce à la lumière qui se dégage de la tire que je peux le voir ; ou plutôt le deviner.
Ça se trouve à l’avant de l’auto, à environ trois mètres. J’actionne les phares et le fameux spectacle s’illumine. C’est du plein feu ! J’en reste paralysé derrière mon volant inerte.
Devant moi, couchée sur le sable, les bras en croix, il y a Elia Filesco. Un énorme pic de démolisseur est planté dans sa poitrine et la cloue au sol.
Je m’approche dans la clarté aveuglante qui s’échappe de la voiture.
C’est pas beau à voir ; si vous n’aimez pas les émotions fortes prenez plutôt un billet pour aller voir jouer La Main du masseur .
La môme Elia a reçu un coup de pic à la tête et ça lui a fait gicler la cervelle. Un second coup de pic porté alors qu’elle était à terre lui a traversé le corps et l’a épinglée sur le sol comme un pauvre papillon.
Je la touche, elle est presque froide, ce qui indique que la mort remonte à plusieurs heures.
Je me redresse et je vais éteindre les phares parce qu’un spectacle pareil doit épouvanter les phalènes.
La lune qui sort de derrière un nuage où elle se planquait jette une lumière pâlotte sur ce sinistre paysage. Je lève les yeux en direction de la falaise, j’aperçois le pavillon noir qui claque au sommet du mât.
J’ai soudain la tronche aussi vide qu’un article d’André Billy. C’est un peu beaucoup à la fois, vous comprenez ?
Radiner in England pour trouver une déesse comme patronne. Se faire violer tout vif par ladite déesse. Visiter une masure truquée. Faire la dînette dans un cottage perdu et s’y laisser droguer… Trouver au milieu de la noïe la déesse ratatinée avec le portrait défoncé et la poitrine garnie d’un pic de terrassier en guise de clip, vous avouerez qu’il y a de quoi se la numéroter et se la faire tirer en tombola, non ?
En tout cas, votre pote San-Antonio, l’homme qui remplace le beurre et les maris absents, est vachement sonné par ces événements.
Je veux bien que l’Angleterre soit par définition le pays des fantômes, du mystère et des préservatifs, mais quand même !
Je rentre dans la strass à la recherche d’un appareil téléphonique. Mais je m’arrête en me disant que ne jactant pas un mot de la langue de Shakespeare il me sera duraille de l’utiliser efficacement.
Alors je reviens à la voiture et je mets les adjas en prenant bien soin d’éviter le cadavre ; dans le fond elle me plaisait, Elia ; et ce serait dommage de la tuer deux fois.
CHAPITRE VII
On prend des inscriptions pour le mystère !
À cette heure de la noïe, les rues de Chatham sont désertes et obscures.
Je traverse la ville en long, puis en large, sans dégauchir le moindre poste de police. Alors j’use des grands moyens : j’appuie à fond sur mon avertisseur. Dans le silence nocturne ça fait un vache cri dans le patelin, vous pouvez me croire.
Des fenêtres s’ouvrent un peu partout et des visages ahuris, bouffis de sommeil, apparaissent.
— Police ! je me mets à gueuler.
C’est un mot magique, presque international.
Bientôt un mec radine, un vieux zig aux sourcils étoffés qui marche dans un bénard trop grand pour lui comme dans un sac.
Il me pose une question.
— Police ! je lui fais… Murder !
Comme quoi ça sert de lire les titres originaux des « Série noire » !
Il hoche la terrine d’un air averti ; pas tellement estomaqué, le père Lajoie.
Puis il m’entraîne dans une voie secondaire. Au bout de cette rue brille une lumière caractéristique, la lumière qui, aux quatre coins du monde, annonce que les bourdilles ont là une succursale.
Le gars entre courageusement le premier et je le suis comme vous suivez le guide lorsque vous allez vous faire conter Versailles sur place.
Nous pénétrons dans une grande pièce grise et triste qui ressemble à un poste de police français comme une sœur jumelle ressemble à son frère jumeau.
Un flic tête nue est laga, avachi sur un illustré qui parle du cent quatorzième fiancé de la princesse Margaret.
Il dresse la tête en nous voyant entrer.
Mon vieux lui dit ce qu’il sait de moi, c’est-à-dire relativement peu de chose. Je crois le moment venu d’intervenir.
— I am French , fais-je.
Et je demande d’une voix sans espoir :
— Do you speak french ?
— Un petit peu, répond l’autre.
C’est un grand rouquin aussi facile à amadouer qu’une meute de loups, mais il me devient presque sympathique.
— Quoi existe ? me demande ce digne représentant de la loi britannique, lequel me paraît s’être un peu avancé en prétendant parler le français.
Je réfléchis.
— Murder , dis-je. Téléphonez à Scotland Yard, inspecteur-chef Rowland.
Il hoche la tête.
— No Scotland quand un murder to ! explique-t-il.
J’insiste avec beaucoup d’autorité.
— Chef inspecteur Rowland ! prononcé-je d’une voix ferme.
Il décroche le biniou et se met à jacter.
Un assez long temps s’écoule. Le père Lajoie attend docilement.
— Thank you very much , lui dis-je. You can go your bed !
Faut croire que c’est audible tout de même car il nous salue d’un air mortifié et se prend par la main pour s’emmener au plume.
Sur ce, le flicard jacte dans l’appareil, je décèle le nom de Rowland et, à sa mimique, je pige que le chef inspecteur est dans les bras de Morphée.
— Son adresse personnelle ! ordonné-je.
Le bourdille comprend et prend le tuyau. Ensuite il sonne le domicile de Rowland. Par chance, le correspondant du boss est chez lui.
Je chope l’appareil.
— Chef inspecteur Rowland ?
— Yes …
— Ici commissaire San-Antonio, vous êtes au courant ?
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