— Asile et frichtis, ajoute Bérurier sur l’air des Allobroges.
— C’est une grande joie pour moi que d’accueillir des Français, assure le palaisain.
Nous nous nommons. Il nous serre la main. Présentation des autres personnages, la princesse Çavajéjoui, le Maharajah de Tanhnahunecomça, la mocheté vouée au nanisme.
— Ma sœur, la princesse Vadérhétroçatânas, conclut-il, brièvement.
Cette dernière émet un borborygme inquiétant. Je pige alors que si elle n’est pas à proprement parler « simple » d’esprit, elle n’est en tout cas pas « compliquée » du bulbe.
Elle brandit un index bagué en direction de Béru et crie, comme le firent les voyageurs du train :
— Ganesh ! Ganesh !
Puis, se mettant à genoux, elle touche les pieds du Gravos.
— Laissez donc, chère Maâme, la valetaille s’en chargera, proteste l’Aimable. Ou même moi, j’ai l’habitude en voyage : un petit coup de chiftir avec le couvre-lit ou les rideaux de ma chambre et je leur redonne l’éclat du neuf.
Elle répète, enamourée :
— Ganesh ! Ganesh !
— Ma sœur vous prend pour le dieu Ganesh, dit Mâbitâhungoû.
Et il se met à enguirlander sa frangine dans la langue de leurs ancêtres paternaux, Vadérhétroçatânas fait des signes de protestation, mais se rassied sans pour autant lâcher le Dodu des yeux.
— Madame a le caramel qui coule un brin, n’est-ce pas ? demande Alexandre-Benoît. C’est d’naissance ou si on lui aurait coincé la cervelle dans la portière du carrosse ? Dommage, certes elle a un pot d’échappement à traîne et des lotos pareils à un claclac au repos, mais nez en moins elle reste comestible vu ses rondeurs et sa bouche équipée d’une rampe de lancement. Elle est manda ? Non ? Peut-être même pas déberlinguée si ça se trouve ? La belle affure, quoi ! Veillez à ce qu’un petit arnaqueur lui saute pas à pieds joints dans l’intimité pour son artiche. Vous pensez : un coureur de dot qui se pointe et découvre le palais avec ses indépendances, les estatues, les tableaux de peinture, les tapis Bouchara et toutim, comment il s’affûte la rapière, le bougre, pour donner l’assaut à mamzelle vot’ frelotte. Et c’petit bout de zan, là, malgré tous ses éléphants blancs, il est sans défense ! C’est crédule, ça, mignon ! Te vous enverrait ses cinquante pions à la mère Soleil pour se voir répondre que le Sagittaire lui traverse le Verseau dans son théorème astragal. Lui laissez pas trop d’argent de poche, à cette mignonne, qu’autrement sinon elle se le laisserait goinfrer dans la main.
Le Maharajah paraît s’amuser de la faconde du Gros. Son confrère ès-raja, pour sa part, fait la tête. Je devine qu’on l’importune grandement. S’il était le maître des lieux, lui il nous enverrait chez Chiche ! Par contre, en ce qui concerne la belle princesse motocycliste, elle me témoigne un intérêt au moins égal à celui que la crétine porte au Gros.
Et c’est réciproque, croyez-moi !
Elle ne parle qu’anglais, mais ça me suffit.
J’apprends qu’elle est princesse dans la région. Son palais se trouve à l’autre bout du Bandzob. Elle vit seule et gère ses biens de façon moderne, car elle a fait ses études aux États-Unis d’Amérique. Elle est passionnée de moto et ne se déplace que sur un bolide grondant…
Moto… Bolide… Ma pensée pique sur la France. Je me mets à songer au fils Merdre. Je revois sa Honda convulsée sur le bord de la route menant aux laboratoires familiaux. Tiens, voilà le premier point commun entre l’affaire de Paris et l’affaire de l’Inde. Mais s’agit-il d’un point commun ? On cause… L’atmosphère tourne aimable. Béru fait marrer le gars Mâbitâhungoû en baratinant son petit monstre de frangine. Une forte collation nous est servie. Pas idiote : caviar, dinde au chutney, apple pie, le tout arrosé d’un délicat champagne.
Sa Majesté Béru le gloutonne que c’en est un plaisir.
— J’vois pas ce qu’on nous casse les claouis avec la misère des petits Hindous, dit-il, la bouche pleine. L’essostandard de vie s’améliore dans le patelin, quoi, merde ! On est bien obligé de constater.
Il en reprend !
Bougez pas, je cherche un superlatif judicieux pour qualifier nos chambres.
Dantesque ?
Trop banal. Ça devient coton de renchérir, de nos jours où on trouve un cassoulet toulousain « fabuleux », une robe « divine », une cravate « démente », un meuble « mourant », un blablateur quelconque « inouï », un vin « pas croyable », le dargeot d’une fille « à-se-tap », une soirée « monstre » et un parapluie de dame « délirant ».
Alors, bon, nos chambres ? Quoi ? Sublimes ? Faramineuses ? Présidentielles ? Ésotériques ? Cosmiques ? Impensables ? Impériales ? Babyloniennes ? Foutrales ? Étourdissantes ? Bandantes ? Que puis-je vous dénicher encore ? Tout cela me paraît bien faiblard…
Disons bonnement qu’elles sont très grandes et très luxueuses. J’espère que vous comprendrez tout de même.
Par curiosité, j’arpente la mienne dans les deux sens (largeur-longueur, hauteur je peux pas, ayant oublié mes godasses à ventouses à la maison).
Je compte trente pas pour la longueur et vingt pour la largeur. Mes enjambées mesurant très exactement 1 mètre, cela nous donne, en francs nouveaux, 600 mètres carrés. Pour une chambre à coucher de célibataire, c’est pas vilain, reconnaissez ?
Le lit bas est en rapport. Pour changer les draps, faut de la main-d’œuvre qualifiée : des employés de cirque, ceux qui dressent et démontent le chapiteau.
Mords ta figue, pardon : mort de fatigue (vous voyez et je ne mens pas), je me déharde en un tournemain et me jette dans mon royal plumard comme dans une piscine d’eau tiède.
Je m’endors avant d’avoir touché le matelas.
Pas pour longtemps, mes bougres !
Pas pour longtemps !
À peine viens-je de sombrer dans les limbes du sommeil, comme on dit dans les beaux livres très chers et qui se vendent mal, que ma porte s’ouvre.
La vasteté de la chambre forme caisse de résonance et le plus léger heurt prend illico des proportions démesurées.
Nonobstant mon épuisement, mon être demeure réduit aux aguets, cela vous le doutez bien. Toujours sur le qui-vive, San-A., lorsqu’il est en enquête.
D’autant que je m’en méfie de Khunsanghimpur. J’ignore ce qui s’y mijote et je m’y sens aussi à l’aise que ce type qui prétendait traverser un étang à gué en marchant sur des feuilles de nénuphars.
Donc, une longue vibration me tire du bienfaisant engourdissement que parlait Paul Romains à la page 43, deuxième alinéa, de son soixante-huitième ouvrage sur « Les hommes de bonnes violentées ».
Illico, pour ne pas dire dare-dare, me v’là sur mon océan (ce lit est tellement large).
— Qu’est-ce que c’est ? demandé-je en anglais et à voix basse, ce qui n’est pas incompatible, l’anglais pouvant se chuchoter, contrairement à l’allemand qui, lui, mobilise les décibels.
— Chut ! m’intime une voix dans une langue facultative.
À l’obscure clarté qui tombe des étoiles, que causait le bon Cid de Normandie (çui dont le saint nœud qui joindra don Rodrigue à Chimène) je distingue une forme massive qui me déambule contre.
Elle approche. Je bats mon briquet. Sa flamme incertaine me permet de reconnaître la tête de veau sous sa divine aigrette [22] Et dire qu’y a des gens que je ne fais pas marrer ! C’est pas normal, hein ? Ils devraient se faire pratiquer un chèque-hop !
du Maharajah rageur Tanhnahunecomça.
« Allons, bon, me dis-je, je parie que cette grosse gonfle est de la jaquette fendue et qu’elle vient me faire des proposes nocturnes. »
Читать дальше