Frédéric Dard - La matrone des sleepinges

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La matrone des sleepinges: краткое содержание, описание и аннотация

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T'as déjà pris l'Orient-Express, toi ?
Jamais ?
Alors t'as tout raté !
Tu sais qu'il s'en passe des choses dans ce train de rêve ?
Et pas seulement celles que tu crois.
Des choses que t'en reviendras pas.
Je connais des tas de mecs qui n'en sont pas revenus.
Qui n'en reviendront jamais ! Cela dit, la baronne Van Trickhül ne le prend pas à chacun de ses trajets.
En voilà une, je te la recommande !
La Matrone des Sleepinges, je l'appelle.
Au retour, j'ai essayé de compter les macchabées jalonnant sa route ; comme j'avais pas de calculette, j'y ai renoncé.
Mais lorsque t'auras terminé la lecture de cette épopée ferroviaire, tu pourras t'y coller, si ça t'amuse.
Si on te filait dix balles par tête de pipe, t'aurais de quoi prendre l'Orient-Express à ton tour.
Auquel cas tu devrais faire poinçonner ton bifton plutôt que ta tronche !

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Je tire celui-ci et donne la lumière.

Mon malfrat blessé tient son bras troué de sa main valide. Il pisse le sang de manière inquiétante qui me donne à craindre que je lui aie pété une artère à grande circulation. Il faudrait lui poser un garrot et le conduire dans quelque centre hospitalier, seulement c’est là un luxe que je ne puis lui offrir, compte tenu des circonstances.

— Assieds-toi ! lui enjoins-je.

Il reste sans réaction.

Sit down ! reprends-je.

Là, il pose son deux-pièces-trou-de-balle sur une chaise rempaillée de frais. Sa main crispée est rouge et, déjà, une flaque s’étale sur le carrelage.

Ma conscience regimbe. Il va se vider la tuyauterie, ce con, si on ne lui porte pas secours. Je lui en fais la remarque et il a un sourire torve qui se veut fataliste, mais je doute de sa sincérité. Quand un gusman voit sortir à flots son beau raisin de son corps, il n’en mène pas large.

— Où ton copain a-t-il conduit la baronne ? lui demandé-je.

— Aucune idée.

— Dommage, parce que nous allons rester ici jusqu’à ce que tu me répondes, et je ne pense pas que tu possèdes une grande autonomie de sang.

Il ne bronche pas.

— A l’allure où tu te répands, mon ami, tu seras en un rien de temps vide comme le verre d’un poivrot. Tu ne trouves pas ça idiot ?

Comme il se tait toujours, je place une chaise face à la sienne, l’acalifourchonne et m’accoude au dossier pour contempler mon zèbre plus à l’aise.

Il est très brun, le visage triangulaire bleui par la barbe de nuit. Il porte ses cheveux longs, en queue-de-cheval ! Rien que je trouve plus con. Une queue-de-cheval, pour un homme, bravo ! Mais dans son bénouze seulement. Leur manière, ces trouducs, d’abdiquer leur masculinité en s’affublant de coiffures insensées !

T’en as qui se rasent la tronche pour ne conserver qu’une grosse touffe en brosse de chiendent, d’autres qui se pratiquent comme une longue visière de tifs, gominée à mort, et puis encore des inventions capillaires de zozos qui prennent ces automutilations pour du courage et roulent des mécaniques de manière dérisoire, les pauvres mômes !

L’humanité se fait de plus en plus la gueule qu’elle mérite. Le pur con veut que sa connerie se voit au premier regard, alors il use d’un code pour la mettre en évidence. Et moi, quand j’en croise, j’ai envie de leur dire : « Mais bien sûr que t’es con à bouffer de la bite en salade, mon grand ; c’était pas la peine de faire tout ce cirque : je m’en serais aperçu tout seul ! »

Curieuse partie de bras de fer, si je puis dire. Son courage contre ma pitié. Qui craquera le premier ?

— Avec la gueule et l’accent que tu as, tu n’es pas anglais, je murmure.

Il me vote un nouveau sourire maléfique.

— Je ne suis rien !

— Je vois, dis-je, absolument rien, pas même un bon malfrat ! Alors que tu as une mitraillette en pogne, tu te laisses piquer comme un bleusaille. S’ils n’ont que des guerriers comme toi, dans votre bande, ils ne doivent pas souvent gagner la guerre !

Mon sarcasme le flagelle et sa pâleur consécutive à « l’exsanguination » s’accentue à tire-d’ailes.

— Tu connais ton groupe sanguin, j’espère ? fais-je d’un ton léger. Car si tu me réponds avant d’être à sec, il ne faudra pas perdre de temps pour refaire ton plein !

Marrant comme, parfois, l’imagination est stimulée par une image, voire par certains mots.

Là, est-ce la notion de son corps « à sec », est-ce la formule médicale « groupe sanguin » ? Toujours est-il qu’il a le sursaut, l’artiste. Il est flashé dur par l’horreur. Il s’imagine en train de s’affaiblir rapidos et de sombrer dans le désert de ses veines vides.

— On l’a embarquée d’urgence pour…

Ecoute, écoute : un vrai film de suce-pinces ! Tu sais, le coup de théâtre qui te cisaille à bout portant au moment z’où. Le côté : « L’assassin, c’est… » Et le gus qui allait cracher le morcif moule une bastos entre les étiquettes !

Kif-kif pareil, je te dis.

A l’instant où il prononce cette phrase qui se veut révélatrice : « On l’a embarquée pour… », la lourde de la sacristie s’ouvre à la volée et un nergumène pistoletté défouraille gaiement.

Mon blessé s’en dérouille une derrière la tronche, une chouette qui lui traverse le crâne via le cerveau et lui ressort par l’œil droit pour aller trouer un tableau représentant saint Joseph enseignant à Jésus comment mortaiser une pièce de bois pour lui permettre de recevoir le tenon. Eh bien Joseph se biche une prune au moins de 11 mm dans la coiffe. Pas de bol, hein ?

Mais j’ai pas le temps de m’étendre sur les dégâts, je préfère m’étendre sur le plancher, tout contre le burlingue ciré. En combien de temps dégainé-je-t-il ? Pas discernable. D’autres bastos pleuvent dans la sacristie. Le pauvre saigneur, architroué, raisine de plus en plus. Il a chu de sa chaise, pif en avant, me faisant sans le vouloir un rempart de son corps, comme on dit dans la littérature mineure.

Et bibi, stoïque, animé d’invincibilité [5] Le seul mot de la langue française qui comporte cinq « i ». chronique, de coucher en joue le petit nuage bleuté qui se constitue devant le tireur. Je largue le potage une fois, deux fois. Le tir d’en face cesse. L’homme s’abat comme les chênes qu’on. Sa gueule éclate sur le sol ; faut dire que mes dragées l’avaient déjà pas mal fissurée. La sacristie ressemble à présent aux abattoirs de la Villette.

D’un bond félin me revoilà à la chère verticale, position dont on ne se lasse pas.

J’enjambe, je réenjambe, passe dans l’église. Me ravise, reviens mettre mon feu d’occase dans la main de mon ex-blessé (qui a monté en grade puisqu’il est mort maintenant). Pas de regrets : le chargeur est vide et je n’ai pas le temps d’aller à l’épicerie acheter des pruneaux de rechange.

Je m’aventure jusqu’à la porte cashère de l’église. Je pige que le complice de mon blessé n’a pas eu de mal à suivre notre trace : un filet de sang continu balise notre chemin. Je stoppe, près du bénitier, me demandant s’il est prudent de filer par la grande porte. L’homme que je viens de repasser à l’amidon n’a pas dû venir seul, probable qu’un autre gazier l’attend au volant d’une tire, faisant le pet à l’extérieur.

Mon regard tombe sur un grand tableau qu’éclaire la lune rougie par le vitrail ; il représente un ange « grandeur nature », si tant est qu’il existât des anges. Moi je trouve ça répugnant, un être à forme humaine avec des ailes. T’imagines cet organe couvert de plumes dans un dos d’individu ? Ça filerait la gerbe à un iguane ! Ma pomme, un ange se pointerait pour m’annoncer que je dois aller sauver la France dard-dard, je me taillerais les coudes au corps malgré mon patriotisme exacerbé.

Pourtant, il a l’air bienveillant avec mézigue, celui du portrait, dans sa belle robe azur et doré. Il semble m’adresser un signe du doigt, sans blague. Il me désigne, non pas le ciel, ce qu’a probablement voulu le peintre, mais la tribune des orgues. Et son regard est si présent, si péremptoire, que je m’engage dans l’escalier en collier de maçon, non sans avoir ôté mes escarpins.

Tu vas mesurer comme je suis un triste fumelard, de déblatérer sur ce messager de Dieu, car, à peine ai-je atteint la galerie que j’entends la porte s’ouvrir, un double pas réverbéré par la voûte retentit. De ma position perchée je vois pénétrer deux mecs en sombre. Dis voir, c’est un bataillon cette bande tracassière qui « s’occupe » de la mère Van Trickhül. Quand y en a plus, y en a encore !

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